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grecques ne se résume-t-elle pas éternellement dans cette phrase de Montesquieu sur Syracuse : « Cette ville, toujours dans la licence ou dans l’oppression, également travaillée par la liberté et par la servitude, recevant toujours l’une et l’autre comme une tempête, et malgré sa puissance au dehors, toujours déterminée à une révolution par la plus petite force étrangère, avait dans son sein un peuple immense qui n’eut jamais que cette cruelle alternative de se donner un tyran ou de l’être lui-même. » C’est là l’instruction puissante et la lumière de l’histoire telle que l’esprit peut la recueillir par une étude directe et attentive, qui a bien son charme aussi, sans compter son utilité, toujours sensible.

El si l’histoire a cet attrait toujours vivant et toujours neuf dans le monde de la pensée, à un autre point de vue, plutôt que de chercher son plaisir, un plaisir malsain et irritant dans les puérilités des phénomènes occultes, ne vaut-il pas mieux placer ses préférences dans les recherches et les goûts naturels de l’imagination ? L’âme humaine dans ses tressaillemens, la vie dans sa mobilité, les enchantemens de la nature rajeunie au printemps ou fécondée par l’été, tout cela a un langage qui, pour n’être point celui d’une table, n’en a pas moins sa grâce et son éloquence, que recueillent les esprits bien doués pour en faire une poésie juste et touchante. Ce n’est pas que là même il n’y ait des difficultés singulières. Ce n’est pas tout que d’entendre ce langage, il faut le noter, lui donner une forme vive et originale. En un mot, au sentiment qu’on a de la poésie intime des choses, il faut joindre l’art qui sait l’exprimer. C’est là le poète. C’est parce que cet accord d’un sentiment profond et d’une expression vraie est si rare que les poètes sont si peu nombreux. C’est parce qu’on s’est accoutumé à méconnaître ces lois supérieures que l’inspiration poétique semble être devenue impuissante parmi nous. La poésie renaitra-t-elle ? Elle renaîtra sans nul doute, comme renaissent toutes les choses immortelles, en se transformant, et déjà ne pourrait-on pas apercevoir la trace d’une sorte de travail mystérieux ? Chaque jour n’a-t-il pas sa moisson. M. Joseph Autran cherche la poésie dans la vérité et la simplicité des tableaux, comme le montrent ses Laboureurs et Soldats. M. de Gramont, l’auteur d’un Chant du passé, puise son inspiration, nous ne savons trop où. Combien d’autres encore !

Peindre un cœur déçu et prêt à se réfugier dans la mort, le rapprocher de la nature pour le rattacher à la vie, l’émouvoir au spectacle des scènes rustiques et de l’existence laborieuse des pauvres gens, mêler à la description des moissons blondissantes le tableau de la fin sereine du père de famille, dans la ferme, tel est le sujet des Laboureurs de M. Autran. Peindre la vie militaire dans sa mobilité, avec ses accidens et ses contrastes, et aussi avec ce qu’elle a d’humain aujourd’hui, tel est le sujet des Soldats. L’un et l’autre de ces poèmes reposent sur une idée vraie, qui se développe dans une action simple et naturelle. La poésie de M. Autran se fait remarquer par une incontestable facilité. Ce qui la rehausse dans les Laboureurs et Soldats, c’est l’honnêteté de l’inspiration, la pureté des sentimens et plus d’un détail empreint d’une grâce délicate. La facilité, qui est le caractère du talent de M. Autran, est peut-être aussi son piège ; mais il y a du moins dans ses Laboureurs et Soldats une certaine unité d’inspiration qu’on ne retrouve pas dans le Chant