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séparait les préjugés du roi de ceux des réformateurs. Entre eux plus d’idées communes. Les Stuarts n’avaient rien pour eux, pas même la nationalité ; jamais on ne les avait vus combattre pour leurs sujets, ni guider les drapeaux de l’armée anglaise ; ils n’avaient fait que la guerre civile. De sa personne, Charles était peu propre à désarmer l’inimitié ; quand on a dit qu’il avait des mœurs sévères, une fierté assez digne et du courage personnel, on a tout dit ; sincérité, générosité, fidélité, sagesse et prévoyance, fermeté et résolution, habileté et discernement, tout lui manquait de ce qui gagne ou l’amour ou la confiance. Les puritains se trouvaient mille raisons pour le haïr, sans une seule des idées qui pouvaient servir à le comprendre. Nul doute que leur fanatisme religieux, leurs théories gomaristes, ne servissent à légitimer dans leur pensée le parti sanglant qu’on les vit prendre, et qu’ils ne missent en même temps du calcul et de l’orgueil dans cette violation impitoyable de ce que le passé tenait pour sacré ; c’était la dernière idole à renverser. Quelques-uns couraient au régicide avec un enthousiasme de martyr, enthousiasme d’autant plus facile que cette fois le martyr avait le rôle de sacrificateur.

L’audace d’un tel acte en présence de la société européenne tout imbue des idées de la royauté féodale est si grande, qu’encore aujourd’hui elle impose à M. Carlyle et lui arrache une certaine admiration. Lui qui fait profession de repousser les préjugés de la démocratie contemporaine, il signale, il célèbre dans l’acte des régicides de 1649 une atteinte décisive, un coup de grâce porté aux fictions du passé dans la plus auguste de toutes. C’était une violence nécessaire ou peu s’en faut pour délivrer les imaginations du spectre des dynasties. Il fallait bien déchirer ces conventions artificielles comme des toiles d’araignée et inaugurer un gouvernement d’héroïsme et de véracité ; il le fallait, et l’écrivain, qui ne semble tourmenté d’aucune des noires passions de notre époque, semble ne voir dans la terrible sentence prononcée par Bradshaw qu’un acte d’anti-cant, d’anti-flunkeyisme[1], une destruction de ce culte du costume[2], qui doit faire place au culte des héros. Il en parle en vérité comme s’il ne s’agissait que de la réforme de quelque puéril préjugé, que de la violation des unités classiques ou des règles de l’étiquette, et comme si l’on n’eût fait que brusquer un peu l’abandon de quelqu’une de ces conventions sociales dont le temps suffit pour dévoiler la vanité.

On pourrait aisément répondre tant au nom de la morale que de la politique. Il suffirait d’exposer la vraie théorie de la royauté ; mais nous avons affaire, sous la forme de l’humour d’un écrivain original,

  1. Anti-cant, anti-hypocrisie ; anti-flunkeyisme, ce qui est contraire à l’esprit de valet.
  2. Cloth-worship.