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Catalogne, à une partie du nord de l’Espagne, à tout un côté de l’Italie, à une grande portion de la France actuelle, et qui avait une langue identique dans le fond, au milieu de la variété même de ses dialectes. Qu’est-il résulté de ce travail à l’issue du moyen âge, au lendemain du XIIe siècle et des luttes des Albigeois, qui mettaient en présence le génie du Nord et cette précoce civilisation méridionale ? Il en est résulté la prépondérance définitive de la langue française et la défaite de cette langue romane, déjà illustrée par la poésie des troubadours. Comprimée dans son essor et dans son développement, elle est restée un ensemble de dialectes ; exilée dans le peuple, elle n’a plus été que la langue de la chaumière, de l’atelier, du paysan, du laboureur, — et, même dans ces conditions populaires, elle n’en a pas moins eu de siècle en siècle ses traditions. Chaque dialecte a eu ses poètes. Pour ne citer que les principaux, — dans la Provence c’est Nicolas Saboly, l’auteur des naïfs et populaires Noëls provençaux ; dans le Languedoc, au XVIIe siècle, c’est Goudouli, qui, un peu différent de notre contemporain Jasmin, vendait sa vigne pour boire, et qui n’en a pas moins consacré à la mort d’Henri IV des vers que Malherbe n’égalait point. Au XVIIIe siècle, dans le Béarn, c’est Despourrins, le gracieux et piquant poète pyrénéen. Telle qu’elle a été, avec son passé et les grâces de son premier épanouissement, même en périssant dans sa fleur comme idiome littéraire, cette langue n’a-t-elle point eu son influence ? Elle a communiqué quelque chose de son ingénieux éclat aux poésies modernes, et encore au XVIe siècle, Montaigne, en abeille industrieuse, faisait passer dans sa prose si colorée et si nourrie quelques-unes de ses expressions les plus familières, lorsqu’elle n’était déjà plus qu’une langue populaire et rustique.

Qu’on ne croie pas d’ailleurs qu’il ait suffi d’un jour pour décider la lutte entre les deux langues, pour créer cette distinction qui existe aujourd’hui, d’un idiome employé par certaines classes sociales, dans certaines circonstances, dans tous les actes de la vie publique, et d’un idiome parlé uniquement par le peuple ou dans la vie familière. À l’époque du traité des Pyrénées, la langue française était encore une langue étrangère pour toutes les classes dans le Roussillon, et ce n’est qu’à la fin du XVIIe siècle que l’autorité de Louis XIV parvenait à la faire admettre soit dans les actes civils, soit, par les prêtres, dans les prédications religieuses. Il y a moins de cent ans que des académiciens de Marseille avouaient qu’ils pensaient en provençal. Une des dernières et des plus singulières fortunes de la langue méridionale au siècle passé était la représentation à la cour d’un opéra languedocien : étrange contraste, on en conviendra, entre les grâces rustiques de la muse languedocienne et les grâces peu naïves du temps. C’était en 1754 ; l’opéra s’appelait