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veto définitif en certaines matières, ils le refusèrent Enfin ils résistèrent dans une question de subsides, et Cromwell répondit par une dissolution. Ainsi le parlement, qu’il avait violenté et mutilé, lui demeurait insupportable. Cet homme ne pouvait ni supprimer, ni souffrir la première des libertés nationales, la discussion. Resté seul et maître absolu, il vit renaître à chaque pas les conspirations, et partagea l’Angleterre entre douze majors-généraux comme entre des proconsuls. Ainsi tout le royaume fut enveloppé dans le réseau d’une administration militaire. Il crut alors pouvoir convoquer un parlement, et ne prévit plus d’opposition. Pour plus de sûreté, usant du pouvoir exorbitant de vérifier les élections, il exclut près de cent membres sous l’odieux prétexte d’indignité, et adressa encore à l’assemblée un de ces discours pleins d’art et de confusion, où l’on peut étudier curieusement les mystères naturels et les ruses méditées de cet inconcevable esprit. Il sembla pour un temps avoir enfin une assemblée à sa dévotion. Celle-ci toléra l’exclusion de ses propres membres, prit des mesures pour la sûreté du lord protecteur, sans cesse menacée ; elle censura bien par un vote l’administration des majors-généraux, mais il parut que Cromwell lui-même n’était pas fâché de les affaiblir. Elle vota le rétablissement d’une chambre des lords, elle lui offrit le droit de la choisir, et enfin la royauté. Jamais Cromwell ne passa par l’épreuve d’une indécision plus cruelle, indécision sur la conduite, car sur le fond ni son opinion, ni sa passion n’était douteuse. C’est alors qu’il se livra plus que jamais à ce genre d’éloquence embarrassée, à cette hypocrisie oratoire qui était la forme de son talent et le langage de sa politique. Il passa un mois à essayer de ramener à sa pensée tous les dissidens qui ne refusaient au despotisme que la couronne ; mais ces dissidens étaient les chefs de l’armée. Ne pouvant vaincre leur opposition, il n’osa la braver. Dans une séance royale à Westminster-Hall, il accepta la nouvelle constitution, moins la royauté, et de ce jour son autorité déclina. Tout le monde sut que son ambition dépassait son audace. Aussi, à la session suivante, le même parlement qui l’avait voulu couronner refusa-t-il de reconnaître la chambre des pairs qu’il avait formée. Cromwell revit avec effroi, avec colère, se relever le fantôme de la république, et il se rendit dans la salle des séances pour prononcer une dernière harangue et signifier au parlement sa dissolution. Il finit par ces mots : « Que Dieu juge entre moi et vous ! » Dieu avait jugé en effet. Depuis un temps, les complots se renouvelaient, et ses craintes étaient encore supérieures à ses périls. Il vivait dans la défiance, dans les précautions humiliantes, dans un trouble continuel. Des malheurs domestiques attristaient son âme ; de dangereuses infirmités accablaient sa vieillesse, et moins de six mois après qu’il avait ainsi déclaré solennellement son impossibilité