Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/1119

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de gouverner avec une assemblée libre, il rendait le dernier soupir, après avoir prophétisé qu’il ne mourrait pas.

Cromwell régna cinq ans. L’Angleterre sous lui ne fut agitée par aucune guerre civile ; elle se fit respecter au dehors. Il la gouverna avec rudesse, mais sans violence ; il la maintint en repos, et ne persécuta ni les partis ni les croyances : de là l’admiration historique que l’Europe porte à son gouvernement ; mais il ne fonda rien, et pourtant il voulut fonder. Il essaya plus d’une fois d’organiser un gouvernement régulier et définitif ; il échoua toutes les fois. Il voulut être roi ; mais il ne put ou n’osa. Il recourut successivement, avec habileté et bonheur, à tous les expédiens de l’absolutisme ; il fut condamné aux tristes soins d’une police inquiète, et réussit à sauver sa vie, mais non son repos. Quant à l’opinion publique, jamais il ne la gagna au point de pouvoir s’abandonner à elle. Il répondit à ses résistances par des coups d’autorité ; mais il ne parvint pas plus à dompter qu’à satisfaire l’esprit de liberté. Il opprima sa nation, il ne la corrompit pas. Le despote réussit, mais non le despotisme.

Notre intention n’était dans ces pages ni de le peindre tout entier, ni de juger son histoire ; nous ne voulions qu’indiquer quelques traits de l’homme et tirer une seule conclusion. Que Cromwell fut un sectaire au lieu d’un politique, c’est ce que nous ne pouvions admettre, et nos opinions, si libérales qu’elles puissent être, ne nous portent à renverser le piédestal d’aucun grand homme ; mais nous sommes encore moins d’humeur à l’exhausser au point d’en faire un autel. M. de Lamartine, en qui les premières idées du contre-révolutionnaire subsistent chez le panégyriste des vainqueurs des girondins, et M. Carlyle, qui professe avec tant de verve et d’esprit l’idolâtrie polythéiste qu’il appelle le culte des héros, ne pouvaient nous entraîner chacun dans son sens, et nous soutenons ici, comme en bien d’autres choses, une idée de juste milieu. Cromwell, par ses qualités les plus éminentes, mais les moins singulières, est de l’espèce de ces grands hommes pour lesquels l’histoire se monte au ton de la poésie, quoique pour lui elle ne doive pas s’élever au-dessus de la prose éloquente. La qualité et les procédés de son ambition, sa vocation pour le commandement, pour l’organisation, pour la guerre, son obstination, sa patience, son activité, son art de ménager et de conduire les opinions contemporaines, de faire servir ses penchans et ses idées les plus involontaires au succès même de ses desseins, tout cela le met au rang de ceux que les hommes reconnaissent pour leurs maîtres. D’autres traits plus individuels, ses mœurs, ses croyances, son langage, un certain vague dans les idées, une certaine indécision devant les grandes choses, un esprit exalté et artificieux, mille singularités le rendent curieux à observer et à peindre ; mais tout cela le diminue un peu pour la raison. Si Jules César est pris pour le type