Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/112

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Daphnis et Alcimadure. Grimm, l’universel chroniqueur des faits littéraires, note dans sa Correspondance cette représentation, et il se livre même à toute une dissertation des plus imprévues. Il se demande ce qui fût arrivé, s’il eût pris fantaisie à Henri IV de transporter la capitale de la France sous le ciel du midi, ce que la langue française eût gagné ou perdu à s’imprégner davantage des émanations de ce ciel et des traditions méridionales, si elle n’eût pas été « plus mesurée, plus sonore, d’une prosodie plus marquée et par conséquent plus susceptible de musique et de poésie. » Rejetée complètement dans le peuple, pressée de toutes parts par la langue française, considérée tout au plus par momens comme une curiosité,

— quelle épreuve plus rude la langue méridionale pouvait-elle avoir encore à subir que la suppression systématique et violente de l’ancienne vie provinciale, l’action de la centralisation moderne, le mélange de toutes les populations françaises accompli d’abord par les guerres de l’empire, puis par la facilité et la promptitude des voyages ? Et cependant il s’est trouvé qu’elle a eu ses poètes contemporains, non-seulement dans l’Agenais, où Jasmin s’est révélé le premier, mais dans la Provence, ce foyer le plus ancien et le plus brillant de la poésie romane. Ici même c’est bien plus encore : il y a des grammairiens, des linguistes, des critiquais, qui viennent se joindre aux poètes pour chercher à faire revivre le génie familier du pays natal.

Le dialecte gascon, en un mot, a piqué d’émulation le dialecte provençal, et un homme studieux, M. J. Roumanille, a recueilli les vers de ces poètes modernes de la Provence dans Li Prouvençalo. Issu du peuple, modeste ouvrier dans une imprimerie d’Avignon, poète lui-même, M. Roumanille semble l’âme de ce mouvement. Comme

Saboly il a fait des noëls, dont l’un, les Deux Pigeons, s’est rapidement popularisé. Homme de son temps, il a écrit dans un charmant morceau sur les Crèches des vers d’une inspiration toute moderne, d’une couleur douce et chrétienne, et les petits poèmes li Sounjarello, la Part dau bon Dieu, ont eu leur gracieuse fortune dans le Comtat. Esprit intelligent et sérieux, ayant l’amour et le goût du prosélytisme de sa langue, ne se servant de son talent que pour apaiser, épurer et élever l’âme du peuple, comme il l’a fait dans quelques brochures durant ces années de révolutions, M. Roumanille groupe autour de lui toutes ces muses de bonne volonté dont les œuvres forment li Prouvençalo. L’un de ces poètes, M. Aubanel, chante les Faucheurs dans une poésie franche et rustique, ou bien il peint avec une sombre énergie le Neuf Thermidor, représentant le bourreau lassé et hébété de sang humain et finissant par périr sous son couteau même. Un autre, M. Glaup, est une sorte de Téniers provençal, comme l’appelle M. Saint-René Taillandier dans une