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toute hâte, entre deux répétitions, pour venir distraire pendant cinq ou six minutes celui qui, plus de quarante années durant, avait égayé toute l’Angleterre, et qui maintenant, pauvre et débile invalide, se soutenait à peine sur ces jambes dont la merveilleuse souplesse avait arraché des cris d’admiration, des applaudissemens fanatiques à trois générations consécutives de spectateurs enthousiastes.

Ainsi se mourait Grimaldi, à la fois l’Auriol et le Deburau de Londres, Grimaldi, sans rival dans la pantomime pendant à peu près un demi-siècle. En Angleterre, la pantomime a droit annuel de cité, comme chez nous ces tableaux satiriques où sont mis en scène tous les incidens dont la curiosité publique s’est tour à tour préoccupée dans l’intervalle d’un hiver à l’autre. Les théâtres les plus sérieux chez nos voisins, — ceux où la tragédie et la comédie, hôtesses habituelles, sembleraient devoir régner sans partage, — sont contraints, par concession aux faiblesses du goût public, d’admettre, chaque fois que revient Noël, une de ces pantomimes féeries dont nos théâtres du boulevard ont ici le monopole, — et sans l’illégitime attrait de ces parades splendides, Shakspeare ou Bulwer, Ben-Jonson ou Douglas Jerrold, la littérature ancienne ou moderne risquerait fort de ne pas suffire aux besoins de la caisse. On comprend que cette nécessité bien reconnue, cet usage maintenant plus que séculaire, donnent à la pantomime une importance dont il faudra tenir compte pour s’expliquer l’extraordinaire popularité du personnage dont nous allons raconter la vie. Il faudra aussi ne pas perdre de vue que la perpétuelle juxtaposition des comédiens et des mimes a introduit l’usage de confier à ceux-ci quelques rôles secondaires dans les pièces parlées, ce qui tend à égaliser, sous quelques rapports, deux classes d’artistes, dont l’une serait volontiers disposée à mépriser l’autre. Quant au clown anglais, on sait ce que c’est. Acrobate et mime tout à la fois, il cumule les grimaces effarées de Pierrot et la danse disloquée de Polichinelle, les travestissemens, les subtilités comiques d’Arlequin et les bonds agiles, les cabrioles impossibles, les rubriques d’équilibriste dont Mazurier et tant d’autres notabilités du genre ont effarouché nos regards. Il y a dans cette variété subalterne de l’artiste comique un effrayant pêle-mêle de facultés diverses : — elle touche à la comédie proprement dite par l’expression mimée de toutes les émotions et de toutes les passions humaines, — elle appartient au genre athlète par ses prouesses gymnastiques. Il faut au clown, comme à l’acteur, l’observation sagace des physionomies, des gestes, de tout ce qui révèle et manifeste les différentes impressions de l’être. Il lui faut, comme aux disciples du gymnaste, un assouplissement musculaire, un développement d’énergie nerveuse, qui placent son corps dans des conditions