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inopinément, le blessa d’assez grave façon, et cet accident le confina pour quelque temps dans son lit. Quand il en sortit, ce fut pour épouser en secondes noces une des actrices de Drury-Lanec, miss Bristow, qui lui avait prodigué les plus tendres soins, et avait adouci les ennuis de sa longue convalescence.

Comme tant d’autres habitans des coulisses, Grimaldi a pu recueillir, au temps de sa gloire, quelques anecdotes curieuses sur des personnages plus ou moins illustres, il se rappelait le dandy Lewis, Lewis-le-Moine, — l’auteur du roman qui porte ce titre, — ses manières affectées, ses fades empressemens auprès des comédiennes, et l’impassible sang-froid avec lequel il acceptait les épigrammes de Sheridan, volontiers dirigées contre ce beau-fils littéraire. — A propos de je ne sais quel débat engagé entre eux : « Je parle une recette de mon Château des Spectres, » s’écria tout à coup Lewis, que le succès de ce méchant mélodrame avait légèrement enorgueilli. — Oh ! repartit Sheridan, pour une bagatelle la gageure est trop forte. Parions ce que vaut la pièce elle-même ! — Le prince de Galles[1], lui aussi, hantait les coulisses de Drury-Lane, et Grimaldi rapporte qu’en 1802 l’héritier du trône d’Angleterre vint tirer les rois à un grand souper où figuraient toutes les notabilités de la troupe, Sheridan y compris, qui donnait la fête. « Au milieu du joyeux repas, disent les Mémoires, Sheridan et le prince entrèrent ensemble dans le foyer où nous étions attablés, et le premier, faisant remarquer à l’autre une énorme couronne dont le gâteau était surmonté : « N’est-ce pas de droit, lui demanda-t-il familièrement, que la couronne appartienne à une brioche[2] ? Qu’en dites-vous, George ! » George n’ayant répondu que par un vague sourire, Sheridan enleva lestement la couronne pour la lui présenter : « Ne daignerez-vous pas, continua-t-il, accepter cette bagatelle ? » Cette fois le prince royal lui donna la réplique : « Ma foi non, répondit-t-il, quoi qu’on en puisse penser, je préfère, et de beaucoup, le gâteau à la couronne. » Et le dialogue en demeura là. Il nous semble que Sheridan aurait pu le compléter par un dernier mot dont la police anglaise, moins scrupuleuse que d’autres, ne se fût point effarouchée : « Quand on a la couronne, on a le gâteau. »

On n’a sans doute point oublié le frère de Joe, ce jeune cadet si pressé d’aller en mer. Nous voici arrivés à l’époque où, pour la première et dernière fois, après une séparation de quatorze ans, son frère devait le revoir. L’histoire de cette bizarre aventure est une de celles où, dans la rédaction des Mémoires de Grimaldi, le talent de

  1. Depuis roi d’Angleterre sous le nom de George IV.
  2. Il y a ici un jeu de mots intraduisible, qui tient à la ressemblance des mots rake et cake. Nous risquons un équivalent.