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En vertu du warrant, l’escroc titré fut pris au corps, son portemanteau fouillé avec soin, et, comme on l’a deviné d’avance, la tabatière de Bradbury s’y retrouva avec plusieurs autres objets de prix, soustraits aux camarades du jeune officier, et qui prouvaient surabondamment qu’il n’en était pas à son coup d’essai. Bradbury, qui ne regardait point, tant s’en faut, comme une circonstance atténuante du vol la prud’homie de ce précoce filou, n’hésita pas à déposer sa plainte, et l’affaire se trouva ainsi du premier coup portée devant la juridiction des cours d’assises. À peine les nobles parens du prévenu en furent-ils informés, que, dans l’intérêt d’un nom glorieux menacé d’une indélébile souillure, ils firent offrir au plaignant, s’il voulait se désister, des sommes considérables. Bradbury avait d’abord résisté à toutes ces séductions ; mais la promesse d’une forte pension viagère, bien et dûment garantie, l’avait enfin trouvé moins inflexible. Restait à régler l’exécution, passablement délicate, des mesures qui devaient aboutir à l’acquittement du jeune voleur. En retrait pur et simple de la dénonciation privée ne pouvait suffire, car il laissait la voie ouverte aux poursuites que le ministère public pouvait être tenté de reprendre à son propre compte. Il fallait donc que la procédure suivit son cours et aboutit à un acquittement définitif, condition sine qua non de la rente promise. Pour en arriver là, et parodiant le stratagème que l’histoire attribue à Brutus, Bradbury avait eu l’idée de feindre la folie. Il avait propagé lui-même le bruit qui le représentait comme ayant perdu la tête, — commis tout exprès, pour le confirmer, quelques notables extravagances, — et, nonobstant quelques semblans de résistance, s’était lui-même fait enfermer dans l’espèce d’hôpital où Grimaldi l’était venu voir.

Le jour même de cette visite, l’ingénieux comédien avait appris la réussite complète de son admirable invention. Le voleur de la tabatière ayant comparu devant la Court of sessions, en l’absence de toute poursuite régulière, il avait bien fallu le relaxer sans même entendre un seul témoin. Bradbury dès lors, changeant de tactique et d’allures, pouvait se mettre en mesure d’obtenir sa libération, qui eut effectivement lieu vingt-quatre heures après. Il n’avait mandé Grimaldi que pour le prier de figurer dans une représentation que l’on allait donner à son bénéfice. En bon camarade qu’il était, Grimaldi ne lui refusa pas ce service, et la représentation eut lieu huit jours plus tard ; mais elle tourna fort mal pour Bradbury, qui, très raisonnable dans la maison de santé, se livra sur la scène à des excentricités ultrà-bouffonnes. Il fut outrageusement sifflé, banni par là très définitivement des théâtres de Londres, et, après avoir végété quelques années sur les scènes de province, — soit qu’avec le temps on eût