Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/1151

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Aussi ses ouvertures à Francfort furent-elles accueillies avec la froideur et les formes dilatoires qu’il avait mises lui-même à Prague à recevoir les propositions des alliés. Déjà avait retenti ce mot suprême de toutes les révolutions : Il est trop tard ! . Les cours continentales, il est vrai, avaient contracté depuis vingt ans une telle habitude de croire la France invincible, il leur paraissait si périlleux et si étrange de franchir à leur tour la frontière de ce pays, qui avait vomi sur elles tant d’armées, que leur foi dans notre force contrebalançait pour elles l’irritation des souvenirs, et qu’une sorte de crainte respectueuse les faisait incliner alors vers la modération. Elles n’auraient aspiré, pour leur propre compte, qu’à la légitime satisfaction de faire rentrer la France dans ses limites naturelles, telles que le traité de Lunéville avait eu l’insigne honneur de les fixer du Rhin aux Alpes : mais dès les premiers jours de 1814, un intérêt nouveau s’était produit auprès des gouvernemens alliés, et allait gravement modifier, au préjudice de la France, toutes leurs dispositions antérieures.

L’Angleterre n’avait pas subi comme l’Allemagne ce prestige que la victoire exerce même sur les vaincus. Elle ne s’était pas résignée aussi facilement que celle-ci à laisser la France maîtresse de la navigation rhénane, du littoral belge, et surtout de ce port d’Anvers, objet constant des préoccupations d’un pays dont il menaçait en temps de guerre la puissance, en temps de paix la prospérité. L’Angleterre, dont l’armée victorieuse, partie des grèves du Portugal, avait alors dépassé les Pyrénées, détourna l’Europe d’une modération que l’on qualifiait à Londres de faiblesse, comme on la taxait d’imprévoyance. Que fallait-il, après le passage du Rhin et l’invasion de la Champagne, pour ramener la France à ses limites de 1792 ? Que fallait-il pour procurer à un cabinet tory l’insigne honneur de réaliser en 1814 la pensée politique de M. Pitt, et pour faire tressaillir le grand ministre sous le marbre de Westminster ? Livrer encore quelques batailles à un pays las de la guerre et épuisé de sang, en finir avec un homme qui était sans doute le premier général du monde, mais au génie duquel il n’était donné ni de faire sortir de terre des armées, ni de battre monnaie, ni de ranimer l’ardeur éteinte de ses lieutenans, plus occupés de conseiller la paix que de soutenir la guerre, ni surtout de rendre à la France, déjà troublée par les partis, le courage des résolutions unanimes. L’Europe n’avait-elle pas des armées innombrables enhardies par la victoire, et l’Angleterre, dont le blocus continental avait conspiré la ruine, ne possédait-elle pas un crédit sans limites comme ses richesses ? Pourquoi se presser, lorsque chaque heure augmentait la force des alliés et réduisait celles de l’ennemi ? Que Napoléon fit des prodiges dans des combats quotidiens livrés un