Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/1176

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

simplement des prisonniers de guerre, ou les habitans d’une contrée nouvellement conquise transférés dans une autre partie de l’empire. Au milieu du XVIe siècle, nous voyons Ivan Wasiliéwitch établissant colons russes des Polonais prisonniers, puis des Allemands[1]. En 1617, Michel Fédérowitch transporte plusieurs milliers d’habitans de la Finlande et de la Carélie sur les terres qui s’étendent entre Twer et Moscou. Pierre le Grand fixe sur le sol russe un grand nombre de Suédois et de Finnois faits captifs à la guerre. Après la conquête de Narva et de Dorpat, en 1704, il amena de ces villes près de six mille habitans qu’il dispersa comme colons dans l’empire. Les mêmes pratiques furent employées à la suite des guerres, presque toutes heureuses, entreprises par la Russie depuis un siècle et demi. Dans des temps voisins de nous, et pour ne parler que d’un événement contemporain, on sait combien de milliers de Polonais ont été, après la prise de Varsovie par les troupes russes en septembre 1831, arrachés à leur patrie et transportés en Sibérie ; on peut donc dire que c’est la force des armes qui procure à la Russie ses colons étrangers.

Ce n’est pas que les monarques russes, que nous voyons demander des colons à la violence, n’aient souvent désiré et tenté de les obtenir de l’émigration volontaire. Nous parlions tout à l’heure des Polonais et des Allemands faits prisonniers et établis comme colons par Ivan Wasiliéwitch. Cet Ivan, surnommé le Terrible, était certainement l’un des plus abominables despotes qui aient jamais existé. C’est lui qui tua de sa main son propre fils, et qui, sur un soupçon de tyran, fit un jour massacrer vingt-cinq mille habitans de Novogorod, de cette magnifique cité, frappée à mort par ce coup, et qui antérieurement comme ville anséatique, c’est-à-dire comme ville libre[2], avait au moyen âge compté jusqu’à quatre cent mille habitans ! Ivan, qui tuait des hommes parce qu’il en avait la fantaisie, avait eu, en d’autres temps, la manie de les enrichir. C’est une pratique assez familière aux princes les plus barbares de se montrer amis de la civilisation, et d’appeler à grands frais dans leurs états le commerce, l’industrie et les arts, que proscrit leur despotisme. Il envoya donc en 1547 à Charles-Quint une ambassade pour lui demander des artisans et des ingénieurs allemands à l’effet d’instruire ses sujets. Ceci rappelle l’empereur Alexandre demandant à Napoléon des officiers de l’École polytechnique. Quoi qu’il en soit, Charles-Quint répondit à Ivan par un refus, et garda pour lui ses sujets. Un pays libre n’a pas besoin de ces négociations pour obtenir des habitans. Ceux-ci lui viennent

  1. Voyez M. de Haxthausen, t. II, p. 244.
  2. Anséatique vient du vieux mot allemand hanse, qui veut dire association, union.