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échevelait dans les eaux du fleuve les saules penchés sur la rive ; En la voyant ainsi offrir son visage aux caresses de cette brise un peu vive, Antoine devinait le besoin d’un poumon affamé de l’air sain qui circu1e librement entre les grands horizons. Aux prières de son père, qui lui recommandait de ne point trop se pencher hors du wagon dans la crainte de quelque accident, elle répondait avec l’impatience mutiné des enfans que l’on trouble dans leur plaisir. — Si tu savais comme ce bon air me fait du bien ! s’écria-t-elle tout à, coup en frappant dans ses mains, et elle retira son chapeau pour mieux ressentir les effets de ces souffles bienfaisans.

Cependant on avait dépassé la forêt du Vésinet, et le train suivait le cours de la Seine, dont les bords commencent, de ce côté, à offrir de charmans aspects. Le père, ayant remarqué que le paysage était plus beau, vu de la portière dont il occupait un des coins, appela sa fille, qui se tenait à la portière opposée, pour lui céder sa place. Hélène s’empara du coin que venait de lui céder son père, mais elle parut hésiter un moment, en s’apercevant que pour profiter de l’avantage de la portière, qui était assez étroite, il fallait risquer un voisinage assez immédiat avec Antoine. L’artiste, devinant sans doute quelle raison retenait sa curieuse voisine blottie dans son coin, lui céda la jouissance pleine et entière de cette ouverture, complaisance dont elle profita sur-le-champ en remerciant le jeune homme plus encore par la joie qu’elle fit paraître que par le sourire qu’elle lui adressa.

Bien qu’on fût en route depuis une heure à peine, un changement sensible s’opérait dans la physionomie d’Hélène. Un pâle vermillon colorait ses joues, l’œil était devenu brillant, la lèvre humide. Sa parole pressée vibrait d’animation juvénile Elle s’efforçait de faire partager à son père l’enthousiasme que lui causaient les beautés du panorama dont les mobiles tableaux se déroulaient devant elle. Ses questions, ses étonnemens naïfs, semblaient indiquer que c’était la première fois qu’elle était mise en contact avec une nature véritablement rustique. Cette gravité un peu froide qu’Antoine avait d’abord remarquée chez la jeune fille était remplacée plus visiblement, à chaque élan nouveau du train parti à toute vapeur, par une animation, une vivacité de mouvemens qui paraissaient autant de symptômes d’un bien-être oublié, depuis longtemps par la voyageuse, s’il n’était pas entièrement nouveau pour elle. À la hauteur de Poissy, le train en croisa un qui descendait. — Ah ! les pauvres gens ! s’écria Hélène, comme je les plains de retourner à Paris ! — Antoine ne put s’empêcher de sourire, car sans le savoir la jeune voyageuse venait d’exprimer une idée qu’il avait eue en même temps qu’elle Cette conformité d’impressions excita la curiosité d’Antoine, curiosité sans but,