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Conrart, le premier secrétaire de l’Académie française, était un curieux universel : il prenait le plus vif intérêt à toutes les choses de quelque importance qui se passaient dans les lettres, dans la société, dans la politique même, car il était du conseil d’état aussi bien que de l’Académie, et il se piquait d’être honnête homme, dans le sens qu’on donnait alors à ce mot. Très répandu dans les meilleures compagnies, il recherchait les pièces de tout genre, en prose et en vers, qui circulaient sans être publiées ; il les recueillait en original ou en copie, et ces recueils très volumineux sont aujourd’hui à la Bibliothèque de l’Arsenal[1]. Nous y avons trouvé plus d’une lettre inédite adressée à Mme de Sablé ou même écrite par elle pendant sa jeunesse et son âge mûr. Plus tard, retirée à Port-Royal, elle brûla en quelque sorte sa vie passée, tous ses papiers ; heureusement elle prit à son service, pour être à la fois son médecin, son intendant et son secrétaire, le docteur Valant, homme instruit, aimant assez la belle littérature, et surtout fort curieux. Mme de Sablé lui abandonnait ou il s’appropriait lui-même toutes les lettres qu’elle recevait, même les plus intimes, aux dépens de l’amitié et au grand profit de l’histoire ; car, après la mort de la marquise. Valant rassembla ces papiers, les mit en ordre, et les déposa à l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, d’où ils sont arrivés à la Bibliothèque nationale[2]. Là se rencontre une foule de lettres précieuses de toute la société de Mme de Sablé, hommes et femmes ; quelques-unes de Pascal, un assez grand nombre de La Rochefoucauld, avec de charmant billets de Mme de La Fayette, un entre autres qui trahit le secret et donne presque la date de sa liaison naissante avec l’auteur des Maximes, et qui, échappé de son cœur, est venu tomber des mains de sa négligente amie dans celles de l’indiscret docteur, lequel l’a très soigneusement conservé, afin qu’un jour un autre indiscret le découvrît et le mit sous les yeux du public.

Voilà les deux sources où tour à tour nous puiserons. Conrart nous aidera à suivre Mme de Sablé dans le monde ; Valant nous la montrera à Port-Royal.


I.

Madeleine de Souvré était fille de Gilles de Souvré, marquis de Courtenvaux, qui suivit le duc d’Anjou en Pologne, se trouva à la

  1. Les manuscrits de Conrart à la Bibliothèque de l’Arsenal se divisent en deux séries : vingt-quatre volumes in-4o et dix-huit volumes in-folio ; ajoutez-y, à la même Bibliothèque, un recueil du même genre en deux volumes in-4o intitulé : Recueil de Pièces.
  2. Fonds intitulé : Résidu de Saint-Germain, quatorze portefeuilles in-folio. Il y faut joindre deux volumes in-4o, Supplément français, n° 3029, et un in-folio sous ce titre : Lettres de madame de Sablé à divers.