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— Il nous suit, dit Jacques. J’aperçois le feu du cigare du capitaine.

— Il ne faut pas que ce soit ma présence qui vous gêne, reprit Hélène en s’apercevant que ses deux compagnons avaient abandonné leur pipe.

— Je suis éteint, dit Jacques, et je n’ai pas de feu sur moi.

— Allez vous rallumer au cigare du capitaine, fit Antoine très naturellement.

— Compris ! murmura le sculpteur à l’oreille de son ami et en lui poussant le coude.

Antoine devina que son ami avait supposé qu’il voulait se ménager un tête-à-tête. — J’irai moi-même chercher du feu, dit-il avec vivacité, et il mit Hélène au bras de Jacques, au moins aussi étonné que sa compagne.

— Tâchez donc de ramener mon père, dit celle-ci. Nous allons vous attendre, ajouta-t-elle avec une certaine intention.

Antoine mit deux ou trois minutes à rejoindre le père d’Hélène, qu’il trouva encore arrêté avec le capitaine, auquel il parlait avec une volubilité extraordinaire. — Je viens vous demander du feu, capitaine, dit Antoine. Mademoiselle votre fille vous attend, ajouta-t-il en se retournant vers le père d’Hélène.

— Allez toujours. Nous vous rejoignons, répondit celui-ci. – Et rappelant le jeune homme au moment où celui-ci allait s’éloigner, il lui remit une espèce de pardessus qu’il avait sous son bras. — Donnez donc, je vous prie, ce manteau à ma fille. Je crains qu’elle n’ait froid.

En se retirant, Antoine entendit le bonhomme qui disait à son compagnon : — Oui, capitaine, c’est comme j’ai l’honneur de vous le dire. Je suis arrivé à Paris avec quatorze francs, et j’ai remué des millions… - Comme il se hâtait et que le chemin était un peu obscur, Antoine accrocha par mégarde à une branche basse qui lui faisait obstacle le vêtement qu’on venait de lui donner pour Hélène. Après l’avoir dégagé, comme il le retournait en tout sens pour voir s’il ne l’avait pas déchiré, un objet s’échappa de la poche du pardessus. En se baissant pour le ramasser, Antoine reconnut avec surprise que c’était l’album oublié par lui dans le wagon. Il ralentit un peu son pas, assez intrigué par cette découverte, et se demandant pourquoi ni Hélène ni son père ne lui avaient parlé de cette trouvaille. Il ne voulut pas cependant reprendre l’album, et le remit dans la poche d’où il était tombé. — Ils ne peuvent ignorer que cet album m’appartienne, pensait-il, car pendant le voyage ils me l’ont vu entre les mains. Pourquoi ne pas me le rendre ?… Après cela, il peut se faire qu’ils n’y aient point songé. Attendons.

En achevant ces réflexions, Antoine rejoignit Hélène et Jacques,