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quelque temps en fumant Antoine ne put s’empêcher de raconter à son camarade comment il avait découvert que la jeune voyageuse avait trouvé son album.

— Mais puisqu’elle paraît ne pas vouloir le rendre, le trouvant sous ma main, je l’aurais tout simplement gardé, dit Jacques. C’était votre droit.

Une transition de causerie rappela aux deux amis l’incident de la promenade qui, pendant quelques minutes, avait laissé Hélène seule avec Jacques.

— À propos, demanda Antoine, pourquoi donc supposiez-vous que je voulais vous éloigner pour rester seul avec cette demoiselle ?

— Cette supposition était bien naturelle, répondit le sculpteur ; vous vouliez m’envoyer à cent pas derrière vous pour chercher du feu, et vous aviez l’amadou dans votre poche ; c’était me dire clairement : Va te promener. Au reste, vous avez pu voir que j’y allais de bon cœur.

— C’est pourtant vrai, j’avais le feu sur moi, fit Antoine en retrouvant dans sa poche la boite d’amadou. Je vous affirme cependant que je l’ignorais. Je croyais au contraire que vous l’aviez conservé.

— Alors, reprit Jacques, il n’était pas utile de vous éloigner pour aller chercher du feu ailleurs : il fallait m’en demander.

— C’est que je voulais vous prouver que votre supposition de tête-à-tête n’était, pas fondée.

— Ah ! murmura le sculpteur, qui veut trop prouver ne prouve rien.

Voyant que son ami semblait encore conserver une arrière-pensée à ce propos, Antoine, insista pour le dissuader. Jacques répondit à cette insistance par un éclat de rire. — Que de mal vous vous donnez pour rien ! dit-il à Antoine. Vous ressemblez à un homme qui prendrait une lieue d’élan pour franchir un caillou. En tout cas, ajouta-t-il, si c’était vous qui au lieu de moi fussiez resté seul pendant ces quelques minutes avec Mlle Hélène, il est probable que vous n’auriez pas été aussi bête que moi. Figurez-vous que sans y prendre garde, et plutôt pour dire quelque chose, je me suis mis à me plaindre de l’humidité et de la fraîcheur de la soirée, de façon que Mlle Hélène, à qui je venais de prêter ma vareuse, s’est excusée de m’en avoir privé et m’a proposé de me la rendre. Aussi vous avez vu avec quelle précipitation elle m’a restitué mon vêtement, quand vous lui avez apporté cette singulière enveloppe qu’elle appelle un manteau.

— Mais, mon ami, interrompit Antoine, votre réflexion justifiait cet empressement.