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Aïe ! fit Jacques, je ne sais plus. — Antoine reprit :

Tu peux ouvrir ton cœur, Hélène,
Le semeur voudra ta moisson.

Au moment où il achevait ce couplet, Antoine se frappa le front comme un homme saisi d’une idée. Ah !… fit-il ; puis il s’arrêta tout à coup en voyant son compagnon faire exactement le même geste. – Ah çà ! décidément cette chanson est célèbre, dit Jacques ; nous sommes trois personnes qui la connaissons sur ce bateau. Et il raconta à Antoine ce qui s’était passé entre lui et Mlle Bridoux quelques instans auparavant. — Mais à quel propos vous êtes-vous récrié en achevant ce couplet ? demanda le sculpteur à son compagnon. Est-ce que vous auriez le même soupçon que moi ?

— Quel soupçon ?

— Mais que Mlle Bridoux… est l’héroïne de cette chanson.

— Non, fit Antoine avec une espèce de contrainte, je n’ai pas cette idée ; il n’y a pas qu’une Hélène au monde.

— C’est juste, reprit Jacques, mais il est probable qu’il n’y en a qu’une sur ce bateau, et comme elle s’est retournée de mon côté quand j’ai chanté, j’en tire cette conclusion très raisonnable que je vous exprimais ; il se pourrait fort bien que…

Un bruyant coup de cloche se fit entendre à l’avant du remorqueur et interrompe Jacques ; on allait arriver à une station. C’était Quillebeuf. Une trentaine de vaisseaux attendaient la marée pour lever l’ancre. Le capitaine de l’Atlas prévint les passagers qu’on allait s’arrêter au moins deux heures, et qu’ils pouvaient descendre en ville.

— Je vous demanderai la permission de ne pas vous accompagner, dit Jacques ; je tombe de sommeil, je vais me reposer jusqu’au départ.

— J’ai presque envie d’en faire autant, répondit Antoine.

— Je vous conseille de descendre et d’aller faire un tour dans la ville. Il y a une petite église assez jolie et un cimetière où vous trouverez de curieuses inscriptions ; après cela, c’est comme vous voudrez.

Comme il était indécis, Antoine aperçut M. Bridoux et sa fille qui passaient sur la planche restée comme un trait d’union entre le remorqueur et un chaland amarré au quai. Ne voulant point paraître les suivre, il attendit qu’ils eussent disparu pour prendre le même chemin.

— Il n’y a plus de doute, pensa-t-il, M. Bridoux est l’oncle d’Olivier ; mais celui-ci ne m’avait pas dit qu’il fût amoureux de sa cousine. Cependant cette chanson qui a fait retourner Hélène indique