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Nous venons de montrer comment on parvint à rédiger la note de Vienne. Les puissances, et notamment la France et l’Angleterre, désiraient-elles sincèrement le succès de cette note ? Voulaient-elles sérieusement, pour nous servir du mot de l’empereur de Russie, ramener la paix au moyen de cet expédient ? L’on va en juger.

Nous citerons d’abord un incident qui se produisit pendant que la conférence de Vienne discutait encore les modifications apportées au projet de note français, et qui ne permet point de douter de l’intérêt, je ne dis pas assez, de la sollicitude anxieuse avec laquelle les gouvernemens secondaient l’œuvre de la conférence.

Au moment où M. de Buol réunissait la conférence, voici ce qui se passait à Constantinople. L’invasion des principautés, accomplie par les Russes le 3 juillet, avait naturellement produit chez les Turcs une grande exaltation. La population de Constantinople fermentait. Le vieux parti turc (et en face de l’agression russe ce parti devenait toute la nation) demandait la guerre immédiate. Le ministère s’était reconstitué après une crise. Il était maintenant unanime dans la résolution de résister jusqu’au bout aux demandes de la Russie. « J’ai laissé les ministres, écrivait lord Stratford, avec l’impression qu’il y aura bientôt plus à redouter leur témérité que leur timidité[1] ; » Les représentans des quatre puissances à Constantinople, ignorant, à cause de la distance, ce qui se passait à Vienne, travaillèrent activement à sauver cette situation périlleuse. On avait décidé le gouvernement turc à ne point regarder comme un cas de guerre le passage du Pruth ; mais on ne pouvait l’empêcher de protester contre la violation de son territoire. Les ambassadeurs en communication continuelle avec Rechid-Pacha cherchèrent du moins à adoucir la protestation inévitable et à prendre dans cet acte même un point de départ possible pour de nouvelles négociations. Ils s’arrêtèrent donc à cette combinaison : Rechid-Pacha joindrait à sa protestation, très modérée elle-même, une lettre adressée au comte de Nesselrode, et qui exprimerait les intentions toujours pacifiques de la Porte. « Je me plais à espérer, y disait Rechid-Pacha, que votre excellence, dans son équité, voudra bien reconnaître que la Sublime-Porte a évité (dans la protestation) tout ce qui aurait pu rendre les circonstances actuelles plus fâcheuses, tandis qu’elle y réitère les assurances les plus formelles que sa majesté impériale le sultan, même à présent, ne se désiste en rien de son désir amical et parfaitement sincère, non-seulement de remplir tous ses engagemens envers les Russes, mais en outre de leur donner telle preuve de ses dispositions cordiales qui soit compatible avec les droits sacrés de la souveraineté et avec l’honneur et les intérêts fondamentaux de son empire. » La

  1. Lord Stratford to the earl of Clarendon, july 16,18. Corresp., part II, n° 11, 15.