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pour les catholiques, et à la faveur de cette assimilation, le protectorat de douze millions de sujets du sultan eût passé d’emblée aux mains du tsar. Rechid-Pacha demandait donc que la phrase fût rectifiée ainsi : « Faire participer dans un esprit de haute équité le rit grec aux avantages octroyés, ou qui seront octroyés aux autres communautés chrétiennes sujettes ottomanes. »

Que le lecteur nous pardonne de retenir si longtemps son attention sur ces chicanes de mots et ces arides constructions de phrases ; mais puisque la Russie a traîné pendant des mois la diplomatie européenne dans ces subtilités bysantines, et puisqu’elle a fait sortir la guerre de ces embûches de langage, il faut bien la suivre dans les broussailles, pour se rendre compte avec une exactitude consciencieuse des péripéties de la question d’Orient.

L’événement a prouvé la prudence et la justesse des modifications proposées par la Porte à la note de Vienne. On doit se souvenir cependant de la mauvaise impression qu’elles produisirent en Europe. Les gouvernemens et l’opinion avaient cru la question terminée. Les modifications de la Porte parurent inspirées par des motifs presque puérils ; pour des corrections insignifiantes, la Porte allait « retarder une solution réclamée par les intérêts de la Turquie et attendue de L’Europe avec anxiété[1]. » On maugréa de tous côtés, mais il fallut prendre sur-le-champ un parti. Au reçu des modifications, le comte de Buol déclara qu’il les regrettait parce qu’elles étaient inutiles, et qu’elles entraîneraient une perte de temps ; suivant lui, elles portaient sur les mots plus que sur les choses ; il espérait en conséquence, et le ministre russe à Vienne, M. de Meyendorf, le confirmait dans cet espoir, qu’elles seraient acceptées à Saint-Pétersbourg. Il les envoya au ministre autrichien auprès du tsar, le baron de Lebzeltern, en lui recommandant fortement d’en presser l’adoption comme un moyen de mettre fin à ces fâcheuses difficultés, sans qu’il en coûtât rien à la dignité de l’empereur Nicolas[2]. Surpris par cette complication si peu attendue, M. Drouyn de Lhuys écrivit deux dépêches, l’une à M. de Lacour, l’autre à M. de Castelbajac. Dans la première, il exprimait le désappointement avec lequel le gouvernement français avait vu le peu d’attention accordé par les ministres du sultan aux conseils des alliés de la Turquie, et il prescrivait à M. de Lacour d’employer tous les efforts pour obtenir de la Porte qu’elle revint sur sa décision. Dans sa dépêche à notre ministre en Russie, il chargeait M. de Castelbajac d’assurer M. de Nesselrode du déplaisir avec lequel on avait reçu à Paris les dernières nouvelles de Constantinople, et de lui exprimer

  1. M. Drouyn de Lhuys à M. de Bourqueney. Documens français, n° 21.
  2. The eatl of Westmorland to the earl of Clarendon. August 25, 28. Corresp., part II, n° 65, 77.