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Tout appelle l’Autriche à prendre un rôle, et sa politique traditionnelle, et le soin de sa sécurité, et ses intérêts commerciaux les plus immédiats. L’Autriche, dit-on, donnerait à sa neutralité un caractère particulier ; elle contribuerait à sa manière au maintien de l’intégrité de la Turquie en comprimant les insurrections qui la pourraient menacer dans la Servie, dans la Bosnie, dans l’Herzégovine, Il n’y a qu’une difficulté, c’est que par ce genre de neutralité l’Autriche froisserait tout le monde sans sauvegarder ses propres intérêts. D’abord elle ne pourrait intervenir dans les provinces turques limitrophes sans le consentement du divan, qui ne le donnerait point sans nul doute à moins d’être assuré des dispositions du cabinet de Vienne à agir contre la Russie, et d’un autre côté pense-t-on que la Russie vit d’un œil favorable les efforts de l’Autriche pour comprimer les mouvemens des populations gréco-slaves de la Turquie ? Ainsi L’Autriche consumerait ses forces dans une œuvre stérile, laissant au loin se débattre les grandes questions où il est de son droit et de son intérêt d’intervenir directement. La dernière illusion des gouvernemens allemands est celle d’une médiation qu’ils pourraient reprendre à un moment donné. La question n’est plus là aujourd’hui : l’épée de l’Angleterre et de la France une fois hors du fourreau, il s’agit d’une paix qui limite les envahissemens de la Russie, et qui place l’indépendance de l’Orient sous la sauvegarde de l’Europe. Toute la question pour les gouvernemens allemands est de savoir s’ils sont intéressés à coopérer à ce résultat. Telle est la considération supérieure qui nous semble lever tous les doutes : c’est là au reste un état d’incertitude qui ne peut plus durer longtemps.

Si l’hésitation et la réserve, que la Prusse et l’Autriche semblent montrer dans une mesure assez différente, — l’Autriche moins que la Prusse, — si cette hésitation et cette réserve ont leur influence inévitable sur la marche des affaires d’Orient, les insurrections qui se développent parmi les populations chrétiennes de la Turquie et jusque dans le royaume hellénique lui-même ne sont pas un élément moins grave de complication. Ces insurrections malheureusement se propagent et gagnent les diverses provinces turques où domine la population grecque. La nécessité où s’est vu le gouvernement ottoman de presser la levée des impôts pour soutenir la guerre a dû irriter les mécontentemens. La perspective d’une occasion favorable est venue enflammer les imaginations. C’est ainsi que l’esprit d’insurrection a couru dans l’Épire, dans l’Albanie, dans la Thessalie ; sur plusieurs points, les troupes turques ont été forcées de battre en retraite. La forteresse d’Arta est investie, sinon prise encore, par les insurgés, qui ont à leur tête des chefs énergiques tels que le jeune Karaiskakis, l’un des plus en vue aujourd’hui. Dans le royaume hellénique, à Athènes même, des troubles ont eu lieu à la suite de l’émotion causée par cette levée de boucliers. Des fonctionnaires, des généraux sont partis pour aller se mêler à l’insurrection, et le gouvernement grec, à demi complice de cette émotion, est tout au moins incapable par malheur de dominer une telle situation. D’un autre côté, par suite de ces faits, les relations diplomatiques semblent sur le point d’être suspendues entre le gouvernement hellénique et la Turquie, et si l’on songe que le représentant du roi Othon à Constantinople est en ce moment M. Metaxas,