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ouvrages ? Il chante, il est vrai, dans la langue gasconne; n’est-ce point cependant la langue de tout un peuple ? Et ne pourrait-on pas même ici ajouter une observation ? Il y a dans notre pays de nombreuses populations qui appartiennent à la France par l’âme, mais enfin dont la langue n’est point la langue de la France. Il n’y aurait nulle exagération à dire que beaucoup l’entendent à peine; un plus grand nombre ne s’en sert point usuellement et la réserve pour les fêtes caractérisées, si l’on nous passe le mot. Il s’ensuit que c’est dans leur langue que pensent ces populations : il y a un naturel accord entre leur idiome et leurs travaux, leurs peines, leurs joies, leur manière de vivre et de sentir. La poésie française la plus éclatante, la plus morale risquera peut-être de rester sans effet parce qu’elle leur sera trop étrangère. La poésie de Jasmin, par la nature de son inspiration, par le caractère de son dialecte comme par ses délicatesses savantes, n’a-t-elle point au contraire le double mérite de pouvoir en même temps éveiller les émotions les plus saines dans l’âme de ces populations et leur faire goûter quelques-uns des charmes de la vie de l’esprit, contribuer à leur éducation morale et à leur éducation intellectuelle, — de telle sorte que le prix académique se trouverait avoir un sens doublement utile ? Ce qu’il y avait de piquant et d’inattendu dans cette entrevue de la muse méridionale et de l’Académie de Richelieu, le poète, on le pense, n’a point tardé à le chanter dans des vers sur la langue française et la langue gasconne. — « Gerbe choisie, gerbe grainée et fleurie n’aura jamais pour vous assez de blé ni de parfum; mais avec des fleurs et des rameaux on paie une partie, — amour, reconnaissance font le reste. » Ainsi par le Jasmin dans une spirituelle dédicace à M. Villemain, en envoyant ses vers — « aux quarante noms fameux dont le vôtre est l’aîné, » dit-il. La première pensée du poète ne devait-elle pas être en effet pour M. Villemain, qui avait salué en lui, « non plus l’écho retrouvé des anciennes chansons du Languedoc, » mais « la voix même, la voix vivante de son enfance et de son peuple... sous une forme agrandie ? » Il y a du reste dans un tel sujet, au milieu de l’effusion personnelle, un côté élevé qui ne saurait échapper au poète et qui se dégage naturellement, on va le voir.


LANGUE FRANÇAISE, LANGUE GASCONNE.

« Quel bruit dans Agen se répand ? Quel bourdonnement dans la prairie ? La muse des champs baptisée par les quarante savans de Paris ! mon berceau, d’un concert fête mon oreille; rossignol, chante fort; bourdonne fort, abeille; Garonne, fais résonner ton flot riant et pur, — des ormeaux du Gravier je dépasse la cime, non de gloire, mais de bonheur.

« Un jour, au matin de ma vie, à l’heure où la joie nous quitte, je