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songeais seulet; un ange vint vers moi, il était fleuri de chèvrefeuille, et d’une voix flûtée il me dit affectueusement : — L’honneur du Midi t’y convie, chante, fais reluire notre langue obscurcie. Cette langue qui te plaît a quitté le château, le palais, mais elle garde la maison, la petite famille. Qu’elle peigne là la joie et les larmes : dans le peuple, elle deviendra plus jolie encore. Elle embaumera toute l’année comme le mois de mai. La langue de Paris, — du trône où tant elle brille, — un jour baptisera son génie qui renaît. Langue de fleurs, de miel, ne doit mourir jamais; — des troubadours elle est la fille et d’Henri IV elle est la mère.

« Il se tut, et aussitôt dans mon cœur je sentis le baiser de la muse, et mon sang s’alluma, et le cri d’amour que je poussai se trouva être un refrain qui au loin retentit. — Et depuis trente ans, partout, l’âme fiévreuse, — j’ai dit la pauvreté joyeuse; pour l’église j’ai toujours brûlé mon grain d’encens, et troubadour du peuple, attristé ou riant, de Toulouse à Bordeaux, de Marseille à Toulouse, j’ai chanté langueur amoureuse, joie, chagrin et tristesse. J’ai peint dans l’été nos champs pleins de fruits (frutejaires), étincellière (bouluguero) de travailleurs. — Quand sur eux du malheur pleuvait le nuage, — je les disais souffrans, mais jamais menaçans. — Ma muse toute de miel n’effraya personne. — Aussi, dans mes chansons qui embaumaient les airs, le riche de ma langue respira le parfum.

« Ainsi la muse en pastourelle plut mieux qu’autrefois quand elle était demoiselle. Ainsi elle put glaner dans le monde touché les fleurs d’or d’honneur qui étoilent son front. — Paris même à mes chansonnettes se souvint des musettes; il écouta, fêta la muse des guérets, — et sans trop écouter le bruit des trompettes, ma muse alla chanter jusque dans le palais du roi. — Oh ! certes alors je compris que l’ange que j’avais vu, et que depuis plus je ne revis, était prophète en me parlant. — pourtant il ne l’était pas tout à fait encore. — Après le roi de la patrie, — il me fallait, pour avoir un triomphe complet, les quarante rois de l’esprit et de la poésie. Je les cherchais des yeux, surpris, à demi couronné, — je criais pour qu’ils m’entendissent. — Hélas ! dans Paris il fallait qu’ils ne fussent pas, — autour de moi il n’en vint aucun. — Sans doute ils étaient sur la sainte montagne, ils moissonnaient des lauriers nouveaux... ou peut-être pour le moment, redevenus simples mortels, ils se promenaient tous dans la verte campagne !

« Mais aujourd’hui quel bruit se répand ! quel bourdonnement dans la prairie ! La muse des champs baptisée par les quarante savans de Paris mon berceau, d’un concert fête mon oreille; rossignol, chante fort; bourdonne fort, abeille; Garonne, fais résonner ton flot riant et pur; des ormeaux du Gravier je dépasse la cime, non de gloire, mais de bonheur !

« Maintenant de ce bonheur tous les rameaux fleurissent; le dernier les vaut tous, aussi je m’en pavane; nos vieux parchemins du Midi reluisent. — Cela est signé... timbré par les princes du savoir. — Reine à la bouche d’or, langue française aimée, langue si fine, si habile, glorifie-toi dans ta bonté, n est beau de caresser qui l’on a détrôné, — surtout quand dans son berceau celle qui perd la partie, toute vieille, demeure et gracieuse et jolie, et en cela ma langue a le double rameau. — Elle joue de l’orgue en parlant; pour