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génie français : «Grandis les choses nouvelles sans briser ce qui est vieux ! »

S’il est juste d’ailleurs de laisser place à ces diversités intellectuelles dont la poésie méridionale n’est qu’un exemple, il est aussi plus d’un écueil à éviter pour ces poètes eux-mêmes écrivant dans une langue qu’ils sont en quelque sorte obligés de se créer. Cèdent-ils à une simple «fantaisie d’artistes, » comme le disait récemment l’un d’eux au sujet d’une réunion de poètes provençaux ? Alors ce ne serait plus qu’un travail artificiel, un archaïsme d’un genre particulier. Il ne faudrait pas moins se garder d’attribuer un sens trop général, trop scientifique pour ainsi dire, à cette efflorescence actuelle de l’esprit méridional. C’est là peut-être le danger de la pensée qu’a eue M. Roumanille d’arriver à une sorte d’unité de langue. L’auteur de li Prouvençalo cède à une illusion; il croit qu’avec de la bonne volonté on crée une unité de langue, même l’unité d’orthographe. La réalité est que la seule manière de se produire pour cette poésie, la seule manière d’avoir encore sa saveur et sa grâce, c’est de prendre la langue telle qu’elle est, avec sa variété de dialectes, et d’en faire l’expression sincère de la vie et des mœurs du peuple qui la parle. En un mot, s’il n’y a point de recette pour faire revivre scientifiquement une langue, il n’y a qu’une inspiration rare pour retrouver ses ressources, pour faire briller encore sur son déclin le rayon de la jeunesse, pour lui arracher le secret de toute une poésie nouvelle, émanation charmante du génie local au milieu des invincibles développemens de la civilisation universelle. Ainsi a fait Jasmin. Né de ce réveil contemporain des génies locaux et populaires, parvenu à une renommée exceptionnelle par le privilège d’une nature merveilleuse, le premier aujourd’hui en France de ceux qui peuvent passer pour les interprètes poétiques du peuple dans une langue du peuple, — qu’il se montre encore, comme il s’est montré en tant d’occasions, heureux des bonheurs faciles de l’homme et du poète, s’honorant à la fois par l’emploi de sa vie et de son talent, et exprimant sous une forme originale et piquante ce que le Midi a de plus spontané et de plus vif.


CH. DE MAZADE.