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regard placide semble celui d’un géant endormi accueillant avec un sourire les pygmées qui viennent troubler son repos séculaire. Dans ces grottes profondes, on respire un air lourd et suffocant; on est saisi d’une fraîcheur désagréable comme celle que l’on éprouve quand on pénètre dans l’intérieur de la pyramide de Chéops. Ce même temple souterrain renferme cinquante autres idoles de Bouddha et des divinités brahmaniques plus grandes que nature; elles furent dorées à la fin du XIIe siècle par un roi (Kirtti Nissanga) qui restaura les édifices du culte bouddhique après avoir repoussé l’invasion des Malabars. Cette date doit être exacte ; elle a cela de précieux, qu’elle marque d’une part les derniers temps de la renaissance du brahmanisme sur le sol de la presqu’île de l’Inde, et de l’autre l’époque où les Singhalais, délivrés de l’oppression de leurs voisins, purent suivre en paix les pratiques de leur propre croyance. A côté des inscriptions qui conservent le souvenir de ces faits importans, on distingue sur les parois du temple une série de peintures dans lesquelles des artistes inexpérimentés ont essayé de retracer quelques épisodes de l’histoire de Ceylan. Les couleurs ont de l’éclat, les détails d’ornement se recommandent par la précision et la grâce des contours; mais ne demandez à ces fresques naïves ni proportions dans les personnages ni perspective. On y voit un navire voguant sans voiles au milieu de poissons tous aussi grands que des baleines, et le long d’une chaîne de petites montagnes bonnes à placer dans un jardin chinois.

Dans ce temple, les divinités brahmaniques, avons-nous dit, ont trouvé asile près de l’image de Bouddha. Il en est ainsi dans presque toutes les pagodes de Ceylan. Près du dagoba (coupole du sanctuaire), la superstition des Singhalais a construit des salles où les divinités de l’ancien culte sont adorées comme dans le reste de l’Inde, avec cette différence que les images des dévas, faites en pâte de riz, n’occupent pas sur l’autel une place permanente. Aucun étranger ne pénètre dans ces mystérieux sanctuaires, où s’accomplissent, devant les figures des dieux redoutables et malfaisans, de magiques incantations. Ainsi, tandis que les religieux bouddhistes cherchent à se perfectionner chaque jour davantage dans l’art de parvenir au néant, le peuple, en proie aux terreurs que lui inspirent l’ignorance et la vivacité de son imagination, s’efforce de calmer par des formules dénuées de sens la colère des dieux. A côté des rêveurs qui ne voient dans la création qu’une expansion de la matière douée de la force créatrice et pas de Dieu au ciel, s’agenouillent les simples et les faibles que tourmente la crainte des démons.

Bien qu’ils soient au fond matérialistes et athées, les bouddhistes reviennent donc quelquefois, et comme par instinct, aux pratiques d’un culte extérieur. Ils prient aussi et souvent, mais c’est à Gôtama seul, au réformateur qui a enseigné à l’homme les moyens d’arriver