Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/156

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

disparaît dans un tourbillon de flammes et de fumée. Aucune prière n’a été récitée à ce moment suprême, seulement les religieux distribuent aux pauvres les vêtemens du défunt. Sur le lieu où reposent les cendres de celui qui vécut dans la retraite et la méditation, on a coutume de planter un figuier sacré en mémoire de l’arbre sous lequel Gôtama-Bouddha se livra aux austérités pendant de longues années : ainsi l’arbre symbolique se nourrit de la poussière même du religieux.

Si les pèlerins chinois qui visitèrent Ceylan au VIe au VIIe siècles de notre ère retournaient de nos jours dans cette île, objet de leur vénération, ils entendraient donc encore les religieux murmurer des prières à l’ombre des grands arbres. L’Orient est la patrie des institutions et des croyances durables; l’esprit humain y a cherché plutôt à approfondir les systèmes qu’à en créer de nouveaux. Qu’il existe entre les monastères bouddhiques et ceux de l’Occident des rapports apparens et extérieurs, nous le reconnaissons très volontiers. La vie monastique ne peut s’établir qu’en vertu de certaines règles déterminées; de même aussi il y a, entre tous les cultes par lesquels l’homme s’efforce de se mettre en relation avec Dieu, des analogies, des similitudes qui sautent aux yeux. Cependant nous ne comprenons pas en quoi les ordres religieux du monde catholique seraient responsables des erreurs, de l’ignorance et de la superstition païenne des moines bouddhistes. C’est par les œuvres qu’on juge les institutions; les enfans de saint François d’Assise et de saint Dominique n’ont-ils pas rendu à l’humanité plus de services que les moines mendians de la Chine, de Siam, du Népal et de Ceylan ? La foi chrétienne et la doctrine de l’athéisme peuvent-elles porter les mêmes fruits ? L’écrivain anglais qui nous a fourni la matière de ce travail, et dont les savans ouvrages méritent d’attirer l’attention de quiconque veut étudier le système fondé par Gôtama-Bouddha, M. Spence Hardy, a employé une partie de son érudition à attaquer les institutions catholiques dont il voit l’image dans les monastères de Ceylan. Ces digressions sont loin d’ajouter de l’intérêt à ses recherches; elles embarrassent le récit, sans parler de l’impatience qu’elles causent aux esprits sérieux et tolérans. Ces réserves faites, nous reconnaissons volontiers dans les deux ouvrages de M. Spence Hardy une excellente peinture de l’état actuel du bouddhisme et des religieux qui le représentent dans l’île de Ceylan. On sent que l’auteur a vécu longtemps dans ce monde à part et peu connu; il en a pénétré les secrets et contribué à éclairer l’une des pages les plus curieuses et les plus obscures de l’histoire des philosophies de l’Orient.


TH. PAVIE.