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D’ailleurs aucun détail sur le moment précis et la durée de cette liaison. On sait seulement qu’au bout de quelque temps, Montmorency ayant paru lever les yeux sur la reine, Mme  de Sablé, en digne Espagnole, rompit avec lui. « Je lui ai ouï dire à elle-même, quand je l’ai connue, dit Mme  de Motteville, que sa fierté fut telle à l’égard du duc de Montmorency, qu’aux premières démonstrations qu’il lui donna de son changement, elle ne voulut plus le voir, ne pouvant recevoir agréablement des respects qu’elle avait à partagée avec la plus grande princesse du monde. »

Tallemant dit, mais que ne dit pas Tallemant ? que Mme  de Sablé eut plusieurs autres liaisons : nous n’en voyons pas la moindre trace dans aucun des auteurs imprimés ou manuscrits que nous avons consultés, et après Montmorency nous n’apercevons plus en elle qu’un sentiment bien marqué, l’amitié. Dans l’âme d’une vraie précieuse, l’amitié n’était guère au-dessous de l’amour : elle en avait les délicatesses, les raffinemens, quelquefois même les orages. Dès qu’elle entra à la cour de Marie de Médicis, Mme  de Sablé connut une jeune dame belle et spirituelle, d’une sensibilité voisine de l’exaltation, Mme  Anne Doni d’Attichy, depuis la comtesse de Maure, qui n’était pas encore mariée, et fut assez longtemps une des filles d’honneur de la reine-mère. Les deux jeunes femmes se prirent l’une pour l’autre d’une tendresse fort vive, qui survécut à toutes les vicissitudes et fit jusqu’à l’heure suprême la consolation et la douceur de leur vie.

L’année 1632 leur fut diversement douloureuse. Quoique Mme  de Sablé eût rompu avec Henri de Montmorency, elle n’avait pu sans doute rester indifférente à sa destinée. Quelles ne durent pas être ses anxiétés lorsqu’elle apprit qu’il s’était engagé dans la guerre civile, et combien le coup de hache frappé à Toulouse dut retentir cruellement dans son âme ! Mme  d’Attichy ne fut pas moins éprouvée. Elle était la nièce du garde des sceaux Michel de Marillac et du maréchal de ce nom, que Richelieu brisa sans pitié après s’en être longtemps servi, quand au lieu d’instrumens ils lui devinrent des obstacles. Il envoya le garde des sceaux mourir en prison à Châteaudun, et fit tomber la tête du maréchal sur un échafaud. Anne d’Attichy frémit d’indignation et de douleur, et elle voua au cardinal une haine qui ne s’est jamais démentie. Elle quitta Paris, et elle était à la veille de partir pour Sablé, où la marquise était alors : tout à coup elle apprend que Mme  de Sablé a écrit à Mme  de Rambouillet une lettre où, lui parlant de sa fille, la célèbre Julie, depuis Mme  de Montausier, elle disait que son plus grand bonheur serait de passer sa vie seule à seule avec elle. Anne d’Attichy a par hasard connaissance de cette lettre, et sa fière tendresse en est blessée comme d’une trahison. Son amie a beau la rassurer, excuser sa lettre sur le style