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poétique highlander de la vieille Écosse revivait tout entier, avec son plaid de tartan et sa redoutable claymore. Toutes les imaginations rêvaient de ce pays poétique, et peuplaient les bords de ses lacs, les bruyères de ses montagnes, les profondeurs de ses glens et de ses cavernes, de ces fantômes aimés que créait en foule la verve du grand romancier national, et au moment même où le génie jetait tant de lumière sur ces populations, ce qui en restait était poursuivi, expulsé, dans l’intérêt apparent de quelques seigneurs! De toutes parts, des réclamations s’élevèrent. On contesta le droit que s’arrogeaient de simples chefs féodaux sur la propriété absolue de terres dont ils n’étaient, disait-on, que les suzerains, et qui appartenaient à leurs vassaux autant qu’à eux-mêmes. Cette observation pouvait être juste à beaucoup d’égards : à ne consulter que la tradition, elle aurait pu être accueillie; mais dans la lutte du présent et de l’avenir contre le passé, l’histoire devait avoir tort. L’utilité était évidente, si le droit n’était pas parfaitement établi. Il était impossible de laisser près de la population laborieuse des basses terres un voisinage aussi dangereux; le gouvernement intervint au nom de la sûreté publique. Grâce à ce secours, la dépopulation s’est accomplie, et les Highlands ont perdu successivement la plus grande partie de leurs farouches habitans.

Nulle part l’expérience n’a été faite plus en grand que dans le comté de Sutherland, qui forme l’extrémité nord-ouest de la Grande-Bretagne. C’est un pays abominable où les fondrières sont encore plus profondes et les rochers plus décharnés que dans les contrées voisines, et qui n’est même plus pittoresque à force de désolation. Situé sous la même latitude que la Suède et la Norvège, il souffre du même climat, rendu plus rude encore par la hauteur de ses montagnes. Une langue étroite de bonne terre végétale s’étend le long de la côte, surtout vers le sud; partout ailleurs, la terre manque, et quand il y en aurait, le froid et les tempêtes suffiraient pour rendre toute culture à peu près impossible. Là s’était conservée, dans un isolement absolu du monde entier, la plus pure et la plus grossière des tribus gaéliques. Un grand chef héréditaire nommé Mhoir-Fhear-Chattaibh, ou le grand homme du sud, par allusion à ses démêlés avec les pirates danois qui fréquentaient les côtes du comté de Caithness, situé encore plus au nord, commandait à ce clan. La population en était peu nombreuse, faute de subsistances, et dans la condition la plus misérable; sur une étendue de plus de 300,000 hectares, 15,000 habitans, hommes, femmes et enfans, vivaient comme des bêtes.

Dans l’organisation militaire des clans, le Sutherland avait formé le 93e régiment de ligne. Au commencement de ce siècle, la comtesse de Sutherland, unique héritière des grands hommes du sud,