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devenue marquise de Strafford par son mariage avec un grand seigneur anglais, entreprit de frapper le grand coup. Elle fit ordonner à tous ses vassaux de quitter l’intérieur des terres, en leur offrant de nouveaux établissemens au bord de la mer, où ils pourraient se faire marins, pêcheurs, ouvriers et même cultivateurs, puisque la terre et le climat y offraient plus de ressources ; ceux qui refuseraient n’avaient d’autre alternative que d’émigrer en Amérique. Cette résolution fut exécutée dans les dix années qui se sont écoulées de 1810 à 1820 ; il n’y a pas plus de trente ans que tout est fini. Trois mille familles furent contraintes de quitter le pays habité par leurs pères et transportées dans les nouveaux villages bâtis sur la côte. Quand elles résistaient, les agens de la marquise démolissaient leurs misérables habitations, et sur quelques points, pour aller plus vite, on y mit le feu. Quand ce qui se passait dans le Sutherland fut connu en Angleterre et en Europe, l’irritation qu’avaient déjà soulevée de semblables exécutions fut portée à son comble ; on répéta, en le grossissant, le cri de malédiction qui s’échappait des chaumières incendiées. Ces accusations décidèrent en 1820 lord et lady Stafford à faire publier par leur principal agent, M. James Loch, une apologie de leur conduite.

D’après M. Loch, l’héritière des comtes de Sutherland avait rendu à ses vassaux un vrai service en les forçant à délaisser un pays où ils ne pouvaient trouver que misère. Au lieu de huttes de terre où ils croupissaient dans leurs montagnes natales, elle leur avait préparé des habitations plus commodes, sous un ciel moins inclément ; au lieu de ces pacages immenses sans doute, mais incultes, où leurs rares troupeaux mouraient de faim, elle leur avait fourni une terre moins inféconde, et de plus ouvert l’océan. Ils avaient été non chassés, mais déplacés dans leur propre intérêt ; si quelques-uns d’entre eux, aveuglés par leurs préjugés, avaient mieux aimé émigrer, la plupart acceptaient avec reconnaissance, et ceux qu’il avait fallu expulser par la force n’étaient que des exceptions. — En fait, disait toujours M. Loch, les résultats de ces utiles mesures ne s’étaient pas fait attendre. Les nouveaux villages étaient déjà, en 1820, infiniment supérieurs aux anciens. La marquise avait dépensé des sommes considérables pour faire ouvrir des routes dans tous les sens, pour jeter des ponts sur les torrens et même sur des bras de mer, pour construire des auberges et des relais de poste, pour rendre les petits ports de la côte plus accessibles et plus sûrs. Cette contrée, si absolument fermée dix ans auparavant, était désormais abordable par terre et par mer, des diligences la traversaient jusqu’à ses extrémités, des bâtimens nombreux venaient se charger et se décharger sur ses plages, autrefois désertes. Pour créer le seul port de Helmsdale, plus de 16,000 livres sterling ou 400,000 francs avaient été