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multiplié à l’infini les effets les plus sublimes. Des milliers de touristes s’y répandent dans la belle saison, si toutefois on peut appeler ainsi l’été de ces contrées, nouvelle source d’exploitation non moins fructueuse que les autres, et que le génie spéculateur des Écossais se garde bien de négliger.

La plus belle de ces résidences seigneuriales est le château de Taymouth, appartenant à lord Breadalbane et situé au point où la rivière du Tay sort du lac de ce nom, dans le comté de Perth. Lord Breadalbane est le descendant des chefs du clan des Campbell, un des plus puissans de la haute Écosse ; ses domaines ont 100 milles anglais ou 40 lieues de long et vont à peu près d’une mer à l’autre : on y a fait le vide par les mêmes moyens qu’ailleurs, et le clan proprement dit n’existe plus ; mais à la place de l’antique manoir s’élève aujourd’hui un véritable palais, dont la splendeur a étonné la reine elle-même quand elle est venue le visiter. Le parc, traversé par les eaux bondissantes du Tay naissant, planté d’arbres magnifiques, tout peuplé de lièvres, de perdrix et de faisans, émaillé de massifs de fleurs, réunit aux beautés naturelles de ces gorges agrestes les grâces que peut seul donner l’art le plus exquis et qui paraissaient incompatibles. Pour vaincre ainsi le sol et le climat, il faut beaucoup d’argent ; ce sont les pâturages qui l’ont fourni depuis qu’ils ne sont habités que par les troupeaux. Je suis arrivé à Taymouth par une longue soirée d’été, en longeant la rive gauche du lac Tay, qui n’a pas moins de six lieues de long ; quelques fermes apparaissaient de distance en distance sur les bords de cette petite mer, avec leurs champs de turneps et d’avoine ; mais sur la montagne proprement dite on ne voyait aucune trace d’hommes ou d’habitations. Des moutons à tête noire paissaient sans gardien sur les pentes, et nous montraient, en nous regardant passer, leur petite face de nègre effarouché ; des vaches west-highlands, dont la silhouette se dessinait sur les rochers frappés des derniers rayons, remplissaient l’air, à notre approche, de véritables hurlemens, et au moment d’arriver au pont de Kenmore, nous vîmes, sous les grands mélèzes plantés par le père du lord actuel, des daims qui descendaient à la faveur des ombres naissantes pour aller boire dans le lac. Ces tableaux paisibles valent bien les scènes sanglantes qui se sont passées dans ces lieux mêmes, et qu’a si bien racontées Walter Scott dans la Jolie Fille de Perth.

Les Shetland, les Hébrides et les autres îles qui se groupent autour des Highlands, n’ont pas encore été également visitées par la civilisation ; mais des paquebots à vapeur établissent maintenant des communications régulières avec elles, et dans peu d’années l’emploi des mêmes procédés y aura porté les mêmes conséquences.

LEONCE DE LAVERGNE.