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avec une personne de vos amies que vous aviez veu Mlle de Bourbon sans avoir aucune frayeur. Ce n’est pas, comme vous pouvez juger, que je veuille oster à vostre générosité toustes avantages qu’elle mérite, car je sais fort bien que, si vous en aviez besoin, elle vous feroit surmonter toutes ces choses, pour ne manquer jamais à aucun devoir ; mais je vous avoue que je ne suis guère plus persuadée de l’amitié que vous avez pour vos amies, que je la[1] suis de votre hardiesse. Néanmoins vous avez fait de si belles réflexions sur la timidité, que j’ai sujet d’espérer que, puisque vous connoissez si bien les dangers, vous pourrez un jour les craindre, et qu’enfin vous ferez ce plaisir à vos amis de vous conserver mieux à l’avenir. Au reste, vous avez dit tout ce qui se peut penser sur la frayeur, et vous n’avez jamais rien écrit de plus mignon ; mais je vous répons que, quoy que vous en pensiez, vous avez été bien loin au-delà de mes précautions. Je ne prends pas plus de sûretés avec mon médecin que vous m’en offrez, en me promettant de changer d’habit ; car, lorsque j’ay besoin de luy, je me résous fort bien à le voir en sortant de la petite vérole, pourvu qu’il quitte une soutane grasse qui est plus capable de prendre du mauvais air qu’une robe bien nette ; et tout de bon, j’ai leu vos lettres à Mme de Maure et les miennes sans les faire chauffer ; enfin je sais, et j’en suis ravie, que Mlle de Bourbon est guérie. En toutes façons j’aurai une joye non pareille d’avoir l’honneur de vous voir. »


Nouvelle lettre de Mlle de Rambouillet à la marquise de Sablé :


« Je suis assez satisfaite que vous fassiez semblant de me vouloir voir ; je vous garderay ce respect de ne vous point prendre au mot. Mais, ma très chère, imaginez-vous que Mme d’Aiguillon vit hier Mlle de Bourbon, et que je tire de là cette conséquence, que l’on ne craint jamais de voir ceux que l’on aime. Je voudrois avoir donné beaucoup, et que cela ne fût point arrivé. »


Dernière lettre de Mme de Rambouillet :


Je suis ravie de voir que la plus honnête personne du monde ait pris, une fois dans sa vie, une raillerie de mauvais biais ; car, si cela m’arrive jamais, je me sauverai par un si bel exemple, et s’il ne m’arrive point, j’en tirerai une grande vanité. Enfin, ma belle mignonne, quand vous devriez estre plus mal satisfaite de cette lettre que de l’autre, il faut que je vous die que votre colère est un reste de cette humeur que vous aviez du temps de la première présidente de Verdun[2], et qu’elle a si peu de rapport à tout ce que vous estes maintenant, que j’ay fait jurer cent fois Voiture pour croire ce qu’il me disoit ; et à l’heure qu’il est il me vient de venir à l’esprit que vous me voulez attraper tous deux. Je ne vous dis point, pour me justifier, les raisons que j’avois préparées ; elles sont trop claires pour que vous ne

  1. Au XVIIIe siècle, on aurait mis le. Tous les auteurs du XVIIe, ceux du moins qui se sont formés dans la première moitié du siècle, à commencer par Mme de Sévigné, écrivaient comme le fait ici Mme de Sablé.
  2. Nicolas de Verdun fut premier président du parlement de Paris, de 1611 à 1627. C’est à ce président de Verdun que Voiture a dédié la première pièce de vers qu’il ait faite à l’âge de quinze ans ; voyez ses Œuvres, t. II, p. 460. Il y a dans Malherbe des vers de consolation à M. le premier président de Verdun sur la mort de sa femme.