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songer à sa livrée, aux panneaux de son équipage. Il pousse la folie jusqu’à devenir le fils adoptif du baron de Berghausen, dont il vient de payer les dettes. Et comme si l’ingratitude pouvait s’effacer à prix d’argent, quand il voit Frédérique, justement indignée de son oubli, avouer son amour pour Spiegel, il ne craint pas de lui offrir une dot en échange de son cœur qu’elle a perdu sans retour. Personne, je l’espère, ne méconnaîtra la vérité d’un tel personnage, dont les auteurs ont étudié toutes les parties avec un soin scrupuleux.

Le premier acte, qui se passe dans l’atelier de Spiegel, est plein de grâce et de gaieté. Le dialogue, tour à tour ingénieux et grave, déride les plus moroses, attendrit les plus indifférens. Le baron Berghausen et la margrave de Rosenfeld, seuls parens du comte Sigismond, qui comptent sur son héritage et viennent demander à Wagner un Requiem pour les obsèques du noble défunt, ont excité plus d’une fois l’hilarité de l’auditoire. Pour les juges les plus difficiles, c’est là un premier acte de franche comédie. Le second acte, rempli tout entier par la lecture du testament, n’est pas moins gai, moins animé que le premier. Maître Gottlieb le notaire, qui tout à l’heure caressait dans le baron et la margrave les héritiers présumés du comte Sigismond, qui ne trouvait pas pour eux de fauteuils assez soyeux, et faisait asseoir sur des chaises Wagner, Spiegel et Frédérique, fait volte-face avec un empressement exemplaire dès qu’il a terminé la lecture du testament. Il y a dans toutes les scènes dont se compose le second acte beaucoup d’entrain et d’habileté. Les auteurs ont su rajeunir par des détails spirituels une donnée déjà traitée plusieurs fois au théâtre.

Au troisième acte, nous retrouvons le baron de Berghausen et la margrave de Rosenfeld installés au château d’Hildesheim et devenus les hôtes de Wagner. Le parvenu aux prises avec l’intrigue est dessiné de main de maître. Le baron et la margrave épient et encouragent tous ses mauvais instincts; ils lui demandent avec une ironique naïveté les armoiries qu’il a choisies, et quand Wagner avoue qu’il n’a pas d’armoiries, le spectateur comprend qu’il est à moitié perdu. Dès qu’il rougit de sa roture, il est tout prêt à rougir de ses amis, à renier son affection pour Frédérique. En somme, ce troisième acte est bien conduit; ni tâtonnemens ni incertitude. L’action marche rapidement, et sans s’égarer un seul instant.

Le quatrième acte n’est pas aussi heureux que les trois premiers. Ce n’est pas que l’action fasse fausse route. Les prévisions du spectateur ne sont pas trompées; peut-être, au contraire, se réalisent-elles trop littéralement. La part faite à la curiosité n’est pas assez large. Et puis, s’il faut dire toute ma pensée, le baron et la margrave abandonnent le champ du ridicule pour rester simplement odieux. Le baron, qui vend son nom pour payer ses dettes, la margrave, qui l’encourage à marcher dans cette voie d’avilissement, ne ressemblent guère à des personnages de comédie. Ils sont trop méprisables pour égayer un seul instant. Et ce n’est pas la seule faute que je doive reprocher aux auteurs : Wagner cède trop facilement à la tentation ; pour nous intéresser, il devrait lutter et se débattre. Dès qu’il est devenu la dupe et l’esclave de deux aigrefins, la curiosité languit, l’attention se lasse, et la comédie semble terminée.

Au cinquième acte, la comédie se relève. Wagner, devenu le fils adoptif du