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bizarre jusqu’au bout, il prescrivit qu’on rasât son corps et qu’on arrachât ses dents avant de l’inhumer[1].

Ce prince avait l’âme noble, l’esprit inventif, le caractère affable et entreprenant. Réunissant en lui toutes sortes de contrastes, il était crédule et défiant, courageux et irrésolu, pauvre et prodigue, emporté et inconstant. Il agissait tantôt en empereur, tantôt en aventurier. On l’avait vu se mettre de sa personne à la solde des princes avec lesquels il combattait, stipuler une sorte de gratification impériale dans tous les traités qu’il avait conclus, quitter brusquement son armée au milieu d’une campagne parce que, dans les rêves de la nuit, les ombres de Rodolphe de Habsbourg et de Charles le Téméraire lui étaient apparues, et l’avaient averti de se défier des Suisses enrôlés à son service, enfin songer même à se faire élire pape à la mort de Jules II.

Du reste les singularités de sa vie avaient contribué à développer ses bizarreries naturelles, et la dispersion de ses intérêts en plusieurs pays avait provoqué l’inconstance de ses desseins. Enfermé à l’âge de cinq ans dans la citadelle de Vienne, où son père, Frédéric III, était assiégé et où il avait eu pour toute nourriture un mauvais pain de son, longtemps fugitif avec la famille impériale dépouillée de ses états par Mathias Corvin, plus tard prisonnier des Flamands, contre lesquels il avait eu à défendre son pouvoir sous les minorités de son fils et de son petit-fils, après avoir protégé leur territoire contre les manœuvres tortueuses de Louis XI, son imagination s’exalta, et il lui laissa prendre trop d’élan et trop d’empire. Tour à tour occupé des affaires de l’Allemagne sans avoir assez de force pour y introduire la règle, des troubles des Pays-Bas sans posséder l’autorité nécessaire pour les administrer en maître, des guerres d’Italie sans disposer de l’argent indispensable pour y entretenir des armées et s’y établir solidement, il commença beaucoup d’entreprises et n’en acheva aucune. Néanmoins il jeta les fondemens d’un ordre plus régulier en Allemagne, en y supprimant de droit les guerres privées, en y abolissant les tribunaux vehmiques, en y fondant la justice légale de la chambre impériale et du conseil aulique, en achevant de la diviser par cercles. Il fut aussi le véritable auteur de la puissance de sa maison. Par son mariage avec Marie de Bourgogne, il lui procura les Pays-Bas ; par le mariage de son fils Philippe le Beau avec Jeanne de Castille et d’Aragon, il lui ménagea la possession de l’Espagne et du royaume de Naples ; par le mariage projeté de son petit-fils Ferdinand avec Anne de Bohême, il lui valut quelques années plus tard le riche

  1. Voir ce qu’en dit Cuspinien son médecin et son ambassadeur. — De Casaribus atque imperatoribus Romanis. — Maximilianus Cæsar, p. 610, in-fol.; Basle, 1561, et Correspondance de l’empereur Maximilien, Le Glay, t. II, p. 411, 412, 413.