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coup une influence prépondérante. La noblesse s’était mal battue à Poitiers. Les chevaliers et écuyers, dit Froissart, qui retournés étaient de la bataille, étaient tant haïs et si blâmés des communes, que en vis ils s’embâtaient ès bonnes villes. Humiliée, décimée, à peine la noblesse siégeait-elle et elle ne parlait point aux états; le clergé gardait aussi, par divers motifs, une réserve prudente. Le tiers-état posséda seul le pouvoir à plusieurs reprises pendant ce siècle de douleurs, et il en fit par deux fois un usage hardi jusqu’à la témérité, et libéral jusqu’à l’anarchie,

Les états-généraux de 1355, l’ordonnance rendue à Paris en 1413, ce sont là deux tentatives libérales et même démocratiques d’une franchise dont jusqu’à nos esprits du XIXe siècle restent surpris. « L’autorité partagée entre le roi et les trois états représentant la nation, et représentés eux-mêmes par une commission de neuf membres; rassemblée des états s’ajournant d’elle-même à terme fixe, l’impôt réparti sur toutes les classes de personnes et atteignant jusqu’au roi.., le contrôle de l’administration financière donné aux états agissant par leurs délégués, l’établissement d’une milice nationale par l’injonction de s’équiper d’armes selon son état.., enfin la défense de traduire qui que ce soit devant une autre juridiction que la justice ordinaire, » c’est ainsi que M. Thierry rend compte de l’entreprise faite par les états[1]. L’ordonnance arrachée au régent par la population de Paris en 1413 est peut-être plus remarquable encore par l’esprit de généralité précoce, par la tendance de centralisation prématurée qui s’y font voir. — Deux idées y dominent, dit encore M. Thierry : la centralisation de l’ordre judiciaire et celle de l’ordre financier. Tout aboutit d’un côté à la chambre des comptes, et de l’autre au parlement. L’élection est le principe des offices de judicature : plus de charge vénale. Les gens de loi et avocats de chaque district élisent les lieutenans de prévôts, de baillis et de sénéchaux. Des officiers supérieurs sont élus par le parlement, même au scrutin. Tout vient en appel au parlement. Tel fut le régime d’administration presque républicaine que la ville de Paris imposa durant six mois aux rois de France.

En relisant ces textes, que des témoignages authentiques rendent à peine croyables, il semble qu’on ne soit plus au XIVe siècle. On croit assister à quelqu’une de ces fictions poétiques qui font apparaître, sous forme d’ombres, toute la descendance d’un héros où tout l’avenir d’un peuple. C’est Anchise montrant à Énée les limbes où s’élaborent les âmes des guerriers romains; ce sont les vieilles fatidiques faisant passer devant Banquo toute la dynastie des rois d’Ecosse. Aperçues à

  1. Essai, etc., p. 35.