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roi, il avait le don naturel du commandement, et une autorité native brillait dans son regard. Enfant de ses œuvres, il avait l’âpreté patiente du parvenu. Il aimait presque également la gloire et la paix, l’éclat et l’économie, le hasard des batailles et les calculs raisonnes d’une administration prudente. Il savait risquer sa personne et ménager les deniers de son peuple. N’affectant ni la trivialité comme Louis XI, ni une chevalerie de parade comme François Ier, son langage savait passer sans art de l’élégance des cours et de la franchise des camps à la gravité judiciaire et politique, le tout emporté et comme fondu dans la vivacité entraînante d’un fils du Midi.

Réunissant ainsi en lui-même les mérites divers des deux grandes classes de la société, satisfaisant leur imagination comme leurs intérêts, présentant à chacune d’elles l’image d’un roi idéal, Henri IV fut aisément leur idole et se maintint leur maître sans effort. Il aurait pu être aussi leur conciliateur, et, s’il eût présidé plus longtemps à leur destinée commune, il lui eût peut-être été donné de terminer à temps leur long duel. C’était, nous le croyons, sinon le plan, au moins l’instinct de sa politique. Tout l’indique, jusqu’au choix même de ses confidens habituels et de ses amis. Le ministre dont le nom est demeuré éternellement lié à celui d’Henri IV, le duc de Sully, présente en effet dans d’autres proportions, et, si on osait ainsi parler, à d’autres doses, le même mélange de qualités bourgeoises et nobiliaires que son roi. Chez lui, pour la postérité, le magistrat a définitivement effacé le gentilhomme ; le surintendant des finances a éclipsé le guerrier; l’homme de cabinet, le commis patient et laborieux, a fait oublier le brillant Rosny, le preneur de villes, dont l’ardeur au combat dut être plus d’une fois tempérée par son maître. Cependant Sully lui-même n’oublia jamais cette qualité de grand seigneur, dont il conservait les instincts sans en partager les préjugés. Aussi la politique poursuivie par ce grand roi et ce ministre digne de lui porte-t-elle les traces du double caractère qui leur était commun. Non moins favorable assurément que celle des souverains précédens au développement du tiers-état, non moins pressée d’établir au-dessus de la diversité des rangs sociaux la régularité d’une administration uniforme et équitable, elle a pourtant conservé des habitudes et des tendances aristocratiques. Elle tend à l’union de toutes les classes plus qu’à l’abaissement des plus élevées; elle voudrait faire cesser l’espèce de divorce que l’usage avait introduit et maintenu entre la noblesse satisfaite de privilèges honorifiques et du brillant métier de la guerre — et le tiers-état, qui accaparait presque à lui seul les fonctions publiques. « Je ne nierai point, dit Sully dans une lettre citée par M. Thierry, que je n’aie souvent exhorté les princes, ducs, pairs et officiers de la couronne et autres seigneurs d’illustre extraction, en qui j’ai reconnu avoir bon esprit, de quitter