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éblouissait les regards. Elle avait réussi au-delà de son vœu et de son attente. Tout l’artifice de cette combinaison séculaire avait été de donner au gouvernement l’unité de la volonté d’un seul homme. La conséquence fut que son épanouissement n’eut aussi que la durée d’une vie humaine. S’il faut regarder en effet (et cela ne paraît pas douteux) le règne de Louis XIV comme le couronnement de toute la politique royale de France, comme le moment de plénitude de l’organisation monarchique, jamais, il faut l’avouer, ne s’est mieux vérifié ce sévère axiome du poète moraliste :

... Tout établissement
Vient tard et dure peu.

L’omnipotence royale en France, si longue à élaborer, n’a pas même joui de cette courte mesure de vie assignée par l’impitoyable condition des choses humaines. Le même homme, dans une longueur moyenne d’existence, y mit le sceau et en découvrit le terme. Louis XIV vécut plus longtemps, non-seulement que sa gloire, mais que l’intégrité et la force de son système monarchique. Il avait pris la royauté encore en tutelle, il la laissa en pleine, en rapide, en irrémédiable décadence. Son règne touche d’un côté à la féodalité, dont il effaça les dernières traces, et à la révolution, dont il ressentit les premières approches. Entre ces deux ennemis de son pouvoir, la royauté de Louis XIV ne respira en paix qu’à peine trente années. Il n’y a rien de si saisissant dans l’histoire que l’éclat de ce grand règne, excepté le spectacle affligeant de l’état où il laissa la France : Quand les obsèques de Louis XIV traversaient Paris au milieu des insultes de la foule, le gouvernement qu’il laissait derrière lui n’était guère moins décrépit que son cadavre. Le XVIIIe siècle ne fit qu’en mener les funérailles au milieu d’un mépris croissant. Rome au moins a mis cinq cents ans à mourir; sa grandeur, si laborieuse à construire, n’a guère été moins dure et moins résistante à détruire. Il n’y a pas fallu moins que les siècles et les barbares. La monarchie française a travaillé huit cents ans pour s’admirer elle-même quelques jours et se précipiter tête baissée dans l’abîme d’une révolution dont aujourd’hui même le fond ne semble pas tout à fait atteint.

Arrêtons ici, pour un instant, cette course rapide avec les âges. Arrivé à ce point, le terrain devient très glissant, et d’ailleurs l’haleine commence à nous manquer. En terminant ce résumé, nous devons l’avouer, l’âme reste sous une impression pénible d’incertitude et de tristesse. Dépouillé de ses grâces et de ses ornemens extérieurs, de l’éclat des lettres et des armes, ce squelette de l’histoire civile de France est assez douloureux à contempler. Des agitations constantes et presque toujours stériles, des aspirations de liberté toujours