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renaissantes et toujours trompées, un progrès continu d’égalité et de despotisme s’avançant côte à côte pour tomber ensemble dans un bas-fond d’anarchie, tel est le sombre canevas sur lequel ont été brodées tant de fleurs brillantes de gloire et de génie. En parcourant à vol d’oiseau, avec M. Thierry, cette longue série de faits, on aurait de la peine à dire sur quel point, sur quel clocher, sur quel château ou quelle chaumière on aimerait à se poser. Excepté les jours de grande bataille, on ne sait trop à quelle époque de l’histoire de France on aurait voulu vivre. A moins d’être roi, on ne voit pas non plus quel personnage on aurait voulu y faire. Noble, il faudrait terriblement aimer les grands coups d’épée pour se contenter d’un rôle presque toujours assez frivole, plus mutin que factieux, et en définitive toujours sacrifié. Bourgeois ou paysan, il y a eu plus de profit que de gloire et plus de prudence que de fierté à toujours transformer en grâces royales des droits péniblement achetés, et à préférer toujours une dépendance prospère et paisible à une périlleuse indépendance. La royauté seule a, dans cette immense période, un rôle digne, une politique soutenue, un véritable sentiment de soi-même, de ses devoirs comme de ses droits; mais elle est pourtant toujours en travail plus qu’en jouissance, et elle périt ensevelie dans son triomphe. On aimerait la voir posée quelque part dans une action bienfaisante et tranquille, moins astucieuse que Louis XI, moins violente que Richelieu, moins fastueuse que Louis XIV.

Quittant même ce point de vue de fantaisie dramatique pour essayer de former un jugement politique sérieux, on éprouve le même embarras. Quelle est véritablement, se demande-t-on, la forme de gouvernement intérieur qui convient à cette nation mobile ? En fait de gouvernement, que veut-elle et que peut-elle ? Quelles sont ses capacités et ses convenances ? qu’est-ce que son histoire lui conseille et lui lègue ? Où est son expérience et sa tradition ? Est-ce vers la liberté politique qu’elle aspire ? Alors pourquoi l’avoir possédée si souvent pour la laisser échapper si facilement ? — Est-ce au joug d’un maître qu’elle veut prêter ses épaules ? Alors pourquoi ces subites et impétueuses explosions d’indépendance qui reparaissent de siècle en siècle ? Pourquoi ce déclin si prompt et cette chute si profonde du pouvoir absolu le lendemain même du jour où, débarrassé de toute entrave et vainqueur de tous ses ennemis, il était déposé tout entier entre les mains d’une famille adorée, et n’avait qu’à gouverner en paix une nation soumise ? — Si la nation française est faite pour être libre, pourquoi s’est-elle si longtemps prêtée de bonne grâce au pouvoir absolu ? Si elle est née pour obéir, pourquoi l’a-t-elle si solennellement et si brusquement renversé ?

Il est, nous le savons, d’heureux esprits que ces perplexités ne