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traversent pas. Nous avons lu naguère, et même en fort bon lieu, des théories d’histoire de France très conséquentes et très bien liées, et dans lesquelles tout semble se tenir à merveille. Suivant ces faiseurs de systèmes, les deux principes qui ont toujours présidé au développement de la France suffisent aussi à tous ses vœux : l’égalité et l’autorité. La plus grande mesure d’égalité possible sous la garde de la plus grande somme d’autorité imaginable, voilà le gouvernement idéal de la France. C’est là ce que le tiers-état et la couronne ont cherché de concert à travers nos longues agitations. Supprimer les rangs supérieurs qui dominaient la bourgeoisie, et du même coup les autorités intermédiaires qui gênaient la royauté, arriver par là à une égalité complète et à un pouvoir illimité, — c’est la tendance finale et providentielle de l’histoire de France. Une démocratie royale, comme on l’a dit; — en d’autres termes, un maître et point de supérieurs, des sujets égaux et point de citoyens, point de privilèges, mais point de droits, — telle est la constitution sociale qui nous convient. On appelle cela le gouvernement historique de la France et la glorification du principe d’autorité; on le recommande en tenues coulans et par des raisonnemens anodins à l’imitation des législateurs de notre âge et à l’amour des générations futures.

Nous ne nions pas les douloureuses confirmations qu’un tel système peut trouver dans les précédens de notre histoire. Nous avons montré nous-même comment entre les étourderies de la noblesse, les défaillances du tiers-état et l’habileté de la couronne, presque toutes nos commotions politiques se sont terminées par le progrès simultané de l’égalité et de l’autorité; mais il est pourtant impossible de séparer ce mouvement de sa fin, — et cette fin, ce fut la catastrophe de la révolution française. S’il est vrai que la combinaison de l’égalité et du despotisme soit le gouvernement naturel de la France, comment se fait-il que l’ancienne monarchie ait péri au moment même où elle se rapprochait le plus de cet idéal ? S’il est vrai que la nation française ne demande que deux choses, un joug et un niveau, et que tout Français consente aisément à obéir, pourvu qu’il n’ait personne à respecter, d’où vient que c’est à partir du jour où ce double désir a été à peu près pleinement satisfait que s’est ouverte pour la royauté une ère de décadence que rien n’a pu conjurer, et pour la nation une série d’agitations que soixante ans n’ont pu terminer ? Ne serait-ce pas que le gouvernement fondé sur l’égalité dans l’obéissance, résultat des fautes successives du tiers-état, flattant toutes ses faiblesses, ne satisfaisait pourtant aucune de ses aspirations généreuses, et laissait par conséquent la nation dans un secret mécontentement d’elle-même ? Ne serait-ce pas surtout que cette forme de gouvernement renferme des conditions qui rendent toute stabilité impossible,