Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/30

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la femme du chancelier du duc d’Orléans, l’amie de la princesse Marie de Gonzague, reine de Pologne, qui, avec Mme  Cornuel, avait la réputation d’un des esprits les plus libres et les plus piquans. Ces dames s’amusent à se raconter chacune une histoire, un petit roman, une nouvelle galante à la façon du Cyrus, mais beaucoup plus courte, et avec cette différence considérable, que les personnages n’y sont pas, comme dans Mlle  de Scudéry, empruntés aux Grecs et aux Romains, mais à l’Europe moderne et surtout à la France : de là le titre de Nouvelles françoises. C’était déjà un pas vers une littérature plus vraie et plus nationale, et ce sont ces nouvelles qui ont préparé et amené quelques années après Mademoiselle de Montpensier et la Princesse de Clèves.

Avec les dames que nous venons de citer, il y avait aussi, à la cour de Mademoiselle, la sœur de Mme  de Montespan, Mme  de Thianges, tant célébrée par La Fontaine, la comtesse de Maure, l’amie intime de Mme  de Sablé, et sa nièce, la fière et spirituelle Mlle  de Vandy ; bien d’autres encore qui, sans avoir d’emplois au Luxembourg, y fréquentaient assidûment, telles que la belle comtesse de Brégy, qui écrivait avec agrément en vers et en prose ; l’aimable duchesse de La Trémouille, célèbre par ses goûts élégans, et qui a laissé le plus charmant recueil des devises de toutes les grandes dames de son temps[1] ; la duchesse de Châtillon, une des idoles du jour ; la fille vertueuse et spirituelle de la beauté la plus ignorante et la plus effrontée. Mlle  de Montbazon, abbesse de Caen, puis de Malnoue ; la duchesse de Schomberg, l’ancienne Mlle  de Hautefort, le digne objet d’une des passions platoniques du roi Louis XIII ; enfin Mme  de Sévigné et Mme  de La Fayette. Par les femmes, vous pouvez juger des hommes : ils étaient à l’avenant ; au premier rang était La Rochefoucauld.

Un jour, à la campagne, en 1657, Mademoiselle eut l’idée de demander à toutes les personnes de sa société de faire leur portrait, et sur-le-champ elle fit elle-même le sien, en commençant par une description physique assez détaillée et passant de là à la peinture de son esprit, de son âme, de ses mœurs et de toutes ses qualités morales. Elle fit aussi les portraits de M. de Béthune, qui était son chevalier d’honneur, de Mlle  de Vandy, de M. d’Entragues, de Mme  de Montglat, et beaucoup d’autres, parmi lesquels ceux du roi, de Monsieur, de monsieur le Prince avant même qu’il fût réconcilié avec la cour, et on peut dire que ce dernier portrait est le meilleur que nous ayons de Condé. Après avoir donné l’exemple, elle voulut qu’on le suivit. Mlle  de Montbazon, l’abbesse de Caen, fit son portrait en

  1. On le peut voir à la Bibliothèque de l’Arsenal.