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au moment même où celui-ci se dispose à l’absoudre et lui donne le baiser de réconciliation, Renart le saisit à la gorge et l’étrangle.

Les suites du roman primitif, Renart le Contrefait, Renart le Nouvel, Renart le Bestourné, ne font que développer avec une insistance plus grande encore cette pensée attristante, que l’homme ne se corrige jamais, que le succès appartient non-seulement aux plus habiles, mais même aux plus méchans, et qu’il n’y a point dans ce monde de sanction pénale pour le vice. Renart, qui n’était à l’origine qu’une espèce de truand, un vagabond sans position sociale, devient dans la suite un personnage important. Il ne s’amuse plus à mystifier un pauvre loup. Il s’attaque au lion lui-même, séduit sa femme, et joue auprès de son fils le rôle de professeur d’immoralité. Le lion lui accorde une confiance sans bornes, et au lieu de recevoir le juste châtiment de ses méfaits, Renaît, riche et puissant, jouit de la considération générale. Sa renommée remplit l’univers et arrivé jusqu’en Terre-Sainte. Les hospitaliers demandent au pape qu’il soit admis dans leur ordre ; les templiers adressent à Rome la même requête; le pape répond qu’il ne peut satisfaire tout le monde. Renart, voyant son embarras, offre d’appartenir aux deux ordres en même temps. Du côté droit, il portera l’habit des hospitaliers et se fera raser la tête; du côté gauche, il portera l’habit des templiers et la barbe longue. Cette invention excite l’admiration universelle, et le pape satisfait donne à Renart l’investiture des deux ordres.

Ainsi, dans ce monde du rêve et de la fiction où se jouent les écrivains des vieux âges, on voit les animaux, depuis les pieuses légendes du désert jusqu’au cynique Roman de Renart, apparaître tour à tour comme les amis, les serviteurs, les modèles ou les censeurs impitoyables des hommes. Des actes positifs de la législation du moyen âge vont maintenant marquer le dernier terme de cette assimilation entre l’homme et la bête. Nous avons marché jusqu’à présent à travers les fictions et les symboles, nous allons entrer dans la réalité historique.


IV. — LES ANIMAUX DANS LA JURISPRUDENCE.

Toujours logique, même dans ses rêves, le moyen âge devait tirer les conséquences les plus absolues et les plus étranges des notions qu’il s’était faites sur la nature et l’intelligence des bêtes. Les considérant comme des êtres moraux et perfectibles, il était, par cela même, tout naturel qu’il en fit des êtres responsables. C’est là en effet ce qui arriva. Après les avoir complètement assimilés aux hommes dans la légende, la poésie et les monumens des arts, on les plaça dans la jurisprudence au même niveau; on les soumit, pour les