Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/34

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mme  de Sablé allait beaucoup au Luxembourg et y prenait part à tous les divertissemens littéraires, ainsi que son amie la comtesse de Maure. Elle ne tenait guère la plume, mais elle était consultée, et Mademoiselle prisait fort son opinion. Quand elle publia la Relation de l’Ile imaginaire, Mme  de Sablé fut au nombre des personnes dont elle rechercha le suffrage, et la comtesse de Maure s’empressa d’en écrire à la marquise, lui disant que Mlle  de Scudéry était ravie de ce petit morceau et lui demandant son avis à elle-même, évidemment afin de le transmettre et d’en faire sa cour à Mademoiselle. Mme  de Sablé se prête de la meilleure grâce du monde à l’intention de son amie, et elle lui adresse ce billet qui n’a pas dû déplaire à l’illustre auteur[1] :


« Je mourois d’envie de vous dire mon avis sur la Relation de l’Isle imaginaire ; mais vous m’en avez osté le pouvoir en me mandant que Mlle  de Scudéry en a déjà dit le sien. Car comme elle pense bien mieux que je ne fais sur toutes choses et qu’elle sait aussi bien mieux exprimer ses pensées, il ne me reste rien à vous dire, pour vous peindre l’admiration que j’ai de tant de belles imaginations et de tant d’esprit, que les mêmes choses que cette habile personne en a déjà dites. C’est pourquoi, dans l’impossibilité de m’en taire, je ne sais point d’autre moyen pour me satisfaire sur cela que de marquer dans le livre quelques-uns des endroits qui m’ont donné le plus de plaisir et d’estonnement. Je vous supplie de les relire, car, encore que vous en ayez déjà si parfaitement reconnu toutes les grâces, je croy que si vous les considérez avec cette réflexion, que c’est dans la grandeur et sous la couronne que ces belles imaginations se sont trouvées conduites avec tant de jugement, vous en direz admirablement tout ce que j’en voudrois pouvoir dire, et je suis persuadée que personne ne peut me contenter sur cela si ce n’est vous. Je vous renvoye le livre avec un grand regret ; j’en voudrois bien avoir un qui fût tout à moi et qu’il me fût permis d’en récréer la solitude de certains anachorètes de nos amis. Je vous supplie d’avoir la bonté de travailler à cela, etc. »


Mme  de Sablé est bien plus intéressée dans un autre petit roman de Mademoiselle, plus piquant que la Relation de l’Ile imaginaire, parce qu’il continue les Divers Portraits sous des noms inventés et contient des peintures de mœurs dont la vérité perce à travers la fiction. Nous voulons parler de l’Histoire de la Princesse de Paphlagonie. C’est un tableau de l’intérieur de Mademoiselle, de sa cour et des querelles qui l’agitaient, sous le gouvernement fantasque de la princesse. Mme  de Sablé y fait un personnage ainsi que la comtesse de Maure : celle-ci s’appelle la reine de Misnie, et Mme  de Sablé y est mise sous le nom de la princesse Parthénie. On s’y moque fort

    publiée en Hollande, à quelques exceptions près, comme de simples conjectures, curieuses et intéressantes sur les contemporains de La Bruyère.

  1. Manuscrit de Conrart, in-folio, t. XI, p. 79.