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délits qu’ils pouvaient commettre, à l’action de la justice humaine. On les fit arrêter et emprisonner; on instruisit leur procès selon les formes consacrées par l’ancien droit; on leur donna des avocats, on les tua juridiquement, avec le cérémonial usité dans les supplices ordinaires, et on alla même jusqu’à les réhabiliter quand ils avaient été condamnés injustement.

Les procès et les exécutions d’animaux se rencontrent souvent au moyen âge et même à une époque assez rapprochée de nous. Les érudits qui ont soigneusement recueilli les traces de cette coutume en ont cherché une explication rationnelle. Quelques-uns sont remontés jusqu’à la Bible, et ils ont vu l’origine de cette étrange législation dans ce passage de l’Exode, où il est dit : « Si un bœuf tue un homme ou une femme d’un coup de corne, le maître sera jugé innocent, mais le bœuf sera lapidé, et on ne mangera pas sa chair[1]. » D’autres ont cru trouver l’origine des procès d’animaux dans l’usage où étaient les peuples puniques d’attacher à des croix, le long des chemins, les lions qui dévoraient des troupeaux ou des hommes[2] ; mais il nous semble que chez les Carthaginois, aussi bien que dans la Bible, les supplices infligés aux lions ou aux bœufs n’ont point le même caractère qu’à l’époque qui nous occupe. On se débarrasse par la mort d’un animal dangereux; on le tue parce qu’il a tué, et pour prévenir de nouveaux meurtres : c’est la loi du talion, sang pour sang. Au moyen âge, au contraire, on ne punit pas seulement le fait matériel, mais le délit moral, et il semble qu’on veuille encore instruire l’homme par l’exemple de l’animal. On se souvient de la loi de Moïse; mais il n’est pas douteux qu’on n’agisse sous l’impression d’une idée nouvelle et complexe. On ne fait point de lois particulières; on applique seulement les lois existantes, et l’homme et la bête sont égaux devant elles. On agit contre eux de la même manière, on les punit des mêmes supplices, et, selon la nature des crimes, on les bannit, on les mutile, on les pend, on les brûle, on les enterre tout vivans, on les jette à la voirie.

La fable monstrueuse de Pasiphaë se traduisit souvent en faits réels au milieu de la barbarie des vieilles mœurs. Dans ce cas, l’homme et l’animal sont regardés comme complices, jugés et condamnés ensemble. D’après les capitulaires[3], les bêtes de somme, les vaches, les chèvres devaient être mises à mort et leur chair donnée en pâture aux chiens; mais en rendant cet arrêt, Charlemagne, qui n’oubliait jamais la question économique, recommanda expressément de garder les peaux pour le service de ses métairies, et il

  1. Exode, chap. XXI, v. 28.
  2. Mémoires de l’Académie des Inscriptions, t. XL, p. 68.
  3. Baluze, Capit., t. Ier, p. 959, liv. V.