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l’apparence d’une exécrable avarice. Il est inutile que je vous donne maintenant de plus amples explications là-dessus. Ce que je vous dis est la vérité ; je ne possède rien, rien ! Retournez à votre château sans voir Lénora ; examinez mûrement, et avec une entière tranquillité d’esprit, s’il n’y a pas de motifs qui doivent vous faire changer de résolution ; laissez la nuit passer sur vos réflexions, et si demain Lénora pauvre vous est restée chère, si vous pensez encore pouvoir être heureux avec elle et pouvoir la rendre heureuse, demandez le consentement de votre oncle. Voici ma main ; puissiez-vous un jour la presser comme la main d’un père ! Mon vœu le plus fervent serait accompli.

Le ton solennel et posé de ces paroles convainquit le jeune homme qu’on lui disait la vérité, quel que fût l’étonnement que lui causât cette révélation inattendue. Cependant une expression de joyeux enthousiasme ne tarda pas à illuminer ses traits.

— Si j’aimerai Lénora pauvre ? s’écria-t-il. Ô mon Dieu ! la recevoir pour épouse, lui être uni par le lien d’un amour éternel… Ah ! monsieur de Vlierbecke, si j’obtiens de votre générosité la main de Lénora, je vous remercierai à genoux de l’inestimable trésor que vous m’accordez !

— Soit ! répondit le gentilhomme : la vivacité des inclinations, la constance des sentimens sont naturelles à votre caractère jeune et ardent ; mais votre oncle ?

— Mon oncle ? murmura Gustave avec un visible chagrin. C’est vrai, j’ai besoin de son assentiment. Tout ce que je possède ou posséderai jamais au monde dépend de son affection pour moi ; je suis un orphelin, fils de son frère. Il m’a adopté pour son fils, et m’a comblé de bienfaits ; il a le droit de décider mon sort, je dois lui obéir…

— Et lui qui est négociant et estime probablement très haut l’argent, parce qu’il a appris ce qu’on peut en faire, dira-t-il aussi : Pauvreté ou richesse, palais ou chaumière, peu importe ?

— Ah ! je n’en sais rien, monsieur de Vlierbecke, dit Gustave avec un triste soupir ; mais il est si bon pour moi, si extraordinairement bon, que j’ai bien des raisons d’espérer son consentement. Il revient demain ; en l’embrassant à son retour, je lui parlerai de mon projet, je lui dirai que mon repos, mon bonheur, ma vie, dépendent de son assentiment. Il estime, il aime infiniment Lénora, et paraissait même m’encourager à prétendre à sa main. Assurément votre révélation le surprendra beaucoup, mais mes prières le vaincront. Croyez-le.

Le gentilhomme se leva pour mettre fin à l’entretien, — Eh bien ! dit-il, demandez le consentement de votre oncle, et si votre espoir se réalise, qu’il vienne traiter avec moi de cette union. Quelle que soit d’ailleurs l’issue de cette affaire, Gustave, vous vous êtes comporté vis-à-vis de nous en loyal et délicat jeune homme ; mon estime et mon amitié vous restent acquises. Allons, quittez le Grinselhof sans voir Lénora cette fois ; elle ne doit plus paraître devant vous jusqu’à ce que ceci ait reçu une solution. Je lui dirai moi-même ce qu’il convient qu’elle en sache.

Demi-content, demi-triste, le cœur plein de joie et d’anxiété en même temps, Gustave prit congé du père de Lénora.