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Sablé, qui connaissait si bien le cœur de son ancienne amie, ce cœur qui avait été la source de ses fautes, ce besoin de plaire et d’être aimée, cette passion de paraître et de briller, comprit plus que personne tout ce, qu’il y avait de douloureux et de magnanime dans la conduite de Mme de Longueville. Elle aussi, elle se convertit, comme on disait alors, c’est-à-dire que les sentimens religieux, qu’elle partageait avec ses contemporains, prirent un caractère plus prononcé ; mais en pensant davantage à Dieu, elle ne changea pas de nature et demeura elle-même. Avec la tournure de son esprit, le goût et l’habitude de la distinction et de l’importance, elle ne pouvait se contenter de la piété commune, et après avoir été précieuse, elle devint une dévote raffinée. Visant toujours au sublime, comme les femmes de sa jeunesse, elle échangea la galanterie espagnole pour le jansénisme.

N’oublions pas les dispositions générales qui portaient Mme de Sablé et toutes les âmes d’élite vers la doctrine nouvelle. Plus l’homme était grand au XVIIe siècle, plus il se sentait petit devant Dieu, et les plus forts étaient les plus humbles. Tout ce qui était de l’homme avait été si souvent mis à l’épreuve et convaincu d’infirmité, les événemens avaient tellement trompé les meilleures espérances et les calculs les plus habiles, qu’on se jetait volontiers entre les bras de celui qui ne trompe point, et qu’on en venait aisément jusqu’à demander à sa bonté souveraine, seule efficace, victorieuse et irrésistible, non-seulement le salut, mais le désir même du salut. Comme en philosophie la pensée avait été glorifiée aux dépens de la volonté mal définie et un peu confondue avec des facultés étrangères, de même en théologie la liberté humaine courait grand risque d’être sacrifiée à la grâce. Ajoutez à cela l’autorité de la vertu et de la science, l’empire d’une morale austère comparée à la morale relâchée du probabilisme et des jésuites, les séductions de la disgrâce et bientôt de la persécution auprès des âmes généreuses, et vous aurez le secret de l’attrait et des conquêtes rapides du jansénisme.

Mme de Sablé n’était pas étrangère à cet état des esprits ; mais outre ces motifs élevés et sérieux, elle en avait d’un autre ordre : elle allait chercher à Port-Royal un asile à la fois honorable et modeste, où à peu de frais elle pouvait soutenir son rang, ne pas rompre tout à fait avec le monde, et en même temps s’éloigner du bruit, conserver ses amitiés les plus hautes et les plus chères et avoir sous ses yeux d’édifians exemples, vaquer enfin à son aise aux soins de son salut et à ceux de sa santé.

Telles furent les raisons diverses qui déterminèrent Mme de Sablé. Comme le dit Mademoiselle, quand elle quitta la Place-Royale, elle n’était pas encore dévote, elle avait plutôt l’espérance et le désir de