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que le nom de Gustave s’échappait de sa poitrine comme un cri d’angoisse. Elle voulut fuir, mais avant qu’elle eût pu faire un pas, le jeune homme, à genoux devant elle, saisissait convulsivement ses mains et disait avec une fiévreuse émotion : — Lénora, Lénora, écoutez-moi ! Si vous me fuyez, si vous me refusez la consolation de vous dire dans un dernier adieu ce que je souffre et ce que j’espère, je meurs à vos pieds ou je pars le cœur brisé, pour aller m’éteindre loin de mon pays, loin de vous, ma sœur, ma bien-aimée, ma fiancée. Ah ! Lénora, au nom de notre amour si doux et si pur, ne me repoussez pas ! Bien que Lénora tremblât de tous ses membres, ses traits prirent une expression de dignité et d’orgueil blessé. Elle répondit d’un ton froid et réservé : — Votre hardiesse m’étonne, monsieur ! Il vous a fallu un bien triste courage pour reparaître au Grinselhof après l’affront qui a été fait à mon père. Il est au lit, malade ; son âme a succombé sous le poids de l’outrage, et la fièvre l’a saisi. Est-ce là la récompense de mon affection pour vous ?

— Mon Dieu, mon Dieu ! vous m’accusez, Lénora ? Quel crime ai-je donc commis ? s’écria le jeune homme avec désespoir.

— Il n’y a plus rien de commun entre nous, reprit la jeune fille ; si nous ne sommes pas aussi riches que vous, monsieur, le sang qui coule dans nos veines ne souffre pas d’injure ! Levez-vous, partez ; je ne dois plus vous voir.

— Grâce ! pitié ! dit Gustave, le regard suppliant et en levant les mains vers elle ; grâce, je suis innocent, Lénora !

La jeune fille cacha les larmes qui germaient dans ses yeux, et se détourna de lui, prête à s’éloigner.

— Lénora ! s’écria Gustave, vous me condamnez à mourir ! Je vous pardonne : soyez heureuse sur la terre, sans moi ! Adieu, adieu pour toujours !

En disant ces mots, ses forces l’abandonnèrent, il tomba sur le siège que venait de quitter Lénora, et ses bras défaillans s’affaissèrent sur la table.

Lénora avait fait deux ou trois pas pour s’éloigner, mais les tristes plaintes de Gustave l’avaient retenue. On pouvait lire sur son visage un violent combat entre le devoir et l’amour. Enfin son cœur parut faiblir dans la lutte, et des larmes abondantes jaillirent de ses yeux. Elle s’approcha lentement du jeune homme, prit une de ses mains et murmura d’une voix attendrie et pleine de sanglots : — Gustave, mon pauvre ami ! nous sommes bien malheureux, n’est-ce pas ?

Au contact de cette main chérie, au doux son de cette voix aimée, le jeune homme revint à lui. Son regard s’arrêta sur les yeux de la jeune fille avec un ineffable sourire, et à demi égaré par la joie : — Lénora, dit-il, chère Lénora, vous êtes revenue à moi ? vous avez pitié de mes douleurs ! vous ne me haïssez donc pas ?

— Un amour comme le nôtre s’éteint-il en un jour, Gustave ? répondit la jeune fille en soupirant.

— Oh ! non, non, s’écria le jeune homme avec exaltation, il est éternel ! n’est-ce pas, Lénora ? éternel, tout-puissant contre le malheur, impérissable tant que le cœur bat dans la poitrine !

La jeune fille pencha la tête, baissa les yeux et reprit d’une voix solennelle : — Ne croyez pas, Gustave, que notre séparation me fasse souffrir moins que vous ; si l’assurance de mon amour peut adoucir pour vous les