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vers le parquet et il parut s’absorber tout entier dans de profondes réflexions. Peu à peu néanmoins ses traits s’éclaircirent, un doux sourire vint errer sur ses lèvres ; il releva le front et se dit à lui-même, tandis que son regard étincelait de joie : — Ah ! comme le désir fait battre mon cœur ! Quelle est douce l’espérance, la certitude qu’aujourd’hui même je la reverrai, qu’aujourd’hui même je la récompenserai de sa constance et lui offrirai le dédommagement de six mois de souffrances, qu’aujourd’hui même, à genoux devant elle, je pourrai lui dire : Lénora ! Lénora ! ma douce fiancée, voici le consentement à notre mariage ! je t’apporte la richesse, l’amour, le bonheur ! Je reviens avec la volonté et le pouvoir de rendre douce la vieillesse de ton père ; je reviens pour vivre avec vous deux dans ce paradis qui nous était promis… » Oh ! merci, merci, mon Dieu !

En ce moment, la porte s’ouvrit. Le jeune homme dissimula son émotion, et alla au-devant du notaire. Celui-ci entra cérémonieusement, prêt à mesurer ses paroles et son attitude sur la position de son visiteur ; mais il eut à peine reconnu le jeune homme, qu’un sourire ouvert et amical parut sur son visage : il alla vers Gustave en lui tendant la main.

— Bonjour, bonjour, monsieur Gustave, lui dit-il. Je vous attendais depuis quelques jours déjà, et suis vraiment heureux de vous revoir. Nous aurons sans doute à régler ensemble quelques affaires d’importance ; je vous suis reconnaissant de ce que vous voulez bien m’accorder votre confiance. Et à propos, qu’en est-il de la succession ? Y a-t-il un testament ?

Gustave parut attristé par un souvenir. Tandis qu’il portait la main à la poche et tirait d’un portefeuille quelques papiers, ses traits exprimaient une douleur sincère. Le notaire s’en aperçut.

— Je suis peiné, monsieur, reprit-il, de la perte que vous avez faite. Votre excellent oncle était mon ami, et je déplore sa mort plus que qui que ce soit. Il avait pour vous une affection particulière, il ne vous a sans doute pas oublié dans ses dernières dispositions ?

— Veuillez voir par vous-même combien il m’aimait, répondit le jeune homme en posant sur la table une liasse de papiers.

Le notaire se mit à les parcourir : assurément ce qu’il y vit dut le surprendre, car son visage trahit une joyeuse stupéfaction, pendant que Gustave, les yeux baissés, se trouvait dans une agitation qui témoignait d’une vive impatience.

Au bout d’un instant, le notaire se leva et lui dit d’une voix respectueuse : — Permettez-moi de vous féliciter, monsieur Denecker, ces pièces sont régulières et légalement inattaquables. Légataire universel ! mais savez-vous bien tout, monsieur ? vous êtes plus que millionnaire !

— Nous parlerons de cela une autre fois, dit Gustave en l’interrompant. Si je me suis rendu chez vous immédiatement, c’est parce que j’ai à demander un service à votre obligeance.

— Parlez, monsieur.

— Vous êtes le notaire de M. de Vlierbecke ?

— Pour vous servir,

— J’ai appris par feu mon oncle que M. de Vlierbecke est tombé dans l’indigence. J’ai des raisons pour désirer que son malheur ne se prolonge pas.