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nifestation nifestation de volonté dans un ou plusieurs des opérateurs qui entourent une table tournante, pour faire changer le sens du mouvement de droite à gauche, ou réciproquement. Enfin c’est une circonstance favorable à l’expérience que le moral des acteurs ne soit pas hostile à la manifestation attendue, et l’influence d’une hostilité individuelle, quand elle est hautement exprimée, peut même paralyser l’action d’opérateurs qui, seuls, auraient produit un effet considérable et prompt.

Il serait beaucoup plus long de faire la liste des effets ou prétendus effets qui ne sont pas du tout à expliquer, mais qui sont au contraire tout à fait à constater. Quant à comprendre pourquoi les merveilles attribuées aux tables tournantes ont obtenu du crédit auprès d’un grand nombre de personnes, je dirai qu’il est tout aussi naturel que l’imagination, avec son amour inné du merveilleux et des émotions nouvelles, ait vu des prodiges dans ce qui lui paraissait inexplicable, qu’il est naturel que les mains, avec leur force musculaire activée par un effet nerveux, mettent en mouvement un corps mobile quelconque. On n’oubliera pas que notre but est d’expliquer un fait physique, et non point de faire valoir des considérations logiques, qui du reste ont été développées avec une grande supériorité par des esprits du premier ordre. Ce n’est pas tout que de faire un miracle, il faut que ce miracle ne soit pas ridicule. Si de plus il est en contradiction avec les lois de la nature, il est absurde. Depuis les magiciens de tous les âges de l’antiquité, les démoniaques du moyen âge, l’astrologie, les convulsionnaires de Saint-Médard, les guérisons miraculeuses de Mesmer, le magnétisme animal, jusqu’aux tables tournantes actuelles, toutes ces épidémies de crédulité publique, renforcées par l’ignorance et par la fourberie, ont toutes eu cela de commun, — l’absurde et le ridicule. Sans en appeler aux penseurs calmes des croyances aux effets surnaturels, il suffit de voir comment chaque âge juge celles des âges précédens. Cicéron ne concevait pas que deux aruspices pussent se regarder sans rire, et nous, nous ne concevons pas que le peuple romain put voir ces deux misérables imposteurs sans lever le bâton sur eux. Le Romain qui fit jeter à l’eau les poulets sacrés qui avaient refusé de manger, disant avec raison que s’ils ne voulaient pas manger, il fallait les faire boire, aurait bien dû plutôt y faire jeter ceux qui en tiraient des pronostics et des oracles. Mais pour être de notre siècle, éminemment tolérant, ne jetons personne à l’eau ; et pour rendre impuissante la mauvaise foi, opposons le ridicule à l’impossible qui se décore du nom de merveilleux. Mettant de côté tout ce qui n’est point du ressort des connaissances positives, voyons comment la science de l’organisme, la physiologie, et la science du mouvement, la mécanique, rendent raison de ces impulsions énergiques imprimées à une masse souvent assez lourde par des opérateurs qui produisent cet effet presque sans s’en douter. Là est tout l’extraordinaire. Or mille faits analogues se présentent en foule dès qu’on a le secret de ces singuliers mouvemens involontaires. Tout le monde convient que d’après les fréquentes relations du corps et de l’âme, il n’est guère possible de concevoir une pensée relative à des mouvemens, sans que le corps ne s’en ressente involontairement. Un lord anglais prétendait que son cheval était si admirablement dressé, qu’il suffisait de penser le mouvement qu’on voulait lui faire exécuter pour qu’il le réalisât