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à l’instant. « En effet, disait-il, l’écuyer qui pense à une évolution quelconque fait involontairement un mouvement en harmonie avec sa pensée, et quelque peu prononcé que soit ce mouvement, mon cheval le perçoit et y obéit. » C’est un effet du même genre qui se produit dans l’action des mains posées sur la table. Au moment où, après une attente plus ou moins longue, il s’est établi une trépidation nerveuse dans les mains et un accord général dans les petites impulsions individuelles de tous les opérateurs, alors la table reçoit un effort suffisant et commence à s’ébranler. Le contact des extrémités des mains agit aussi sans doute par la communication d’une influence nerveuse insensible, pour établir la simultanéité d’action. Jusque-là, la pression individuelle des mains de chaque personne, agissant isolément et sans ensemble, ou même en contradiction, était non efficace. Tout le monde connaît les airs fortement rhythmés par lesquels les ouvriers et les matelots obtiennent l’ensemble d’action nécessaire à leurs travaux. Que l’on se rappelle l’air des matelots normands :

Oh ! oh ! oh !... oh ! allons,
Amis , pesons sur nos rames ;
Oh ! oh ! oh !... oh ! allons,
Pesons sur nos avirons !


L’influence du rhythme musical est tellement réelle par l’accord qu’il détermine entre l’action de toutes les mains, que l’on a vu des tables rebelles, ou, si l’on veut, des mains inefficaces donner des résultats décisifs aux premiers sons d’un piano exécutant un air fortement cadencé. On me dira que les tables elles-mêmes ont composé de la musique, et que je devrais invoquer cette autorité : d’accord ; mais je ne veux pas seulement, comme on dit, avoir raison, je veux encore avoir raison raisonnablement.

Voilà donc tous les opérateurs arrivant à agir ensemble par l’effet du temps et des chances (j’apprends au lecteur, s’il ne le sait pas, que toute chance avec le temps devient une certitude) ; mais cette action insensible, qui se produit même à l’insu de chaque opérateur, en y joignant cet accord, cet ensemble nécessaire de toutes les impulsions, cette cause, disons-nous, est-elle assez énergique, assez puissante pour ébranler une masse très lourde et lui donner même une grande vitesse ? Voyons ce que nous apprend la physiologie. Tous les mouvemens musculaires sont déterminés dans le corps par des leviers du troisième ordre dans lesquels le point d’appui est très voisin du point où agit la force, laquelle, par suite, imprime une grande vitesse aux parties mobiles pour un très petit chemin que parcourt cette force motrice. Pour rendre ceci plus clair, étendons le bras et cherchons ensuite à le plier. Les os du bras et de l’avant-bras ont leur point d’appui au coude. Les deux puissans muscles qui garnissent le bras des deux côtés du coude se contractent, et tirent de part et d’autre le tendon qui passe tout près du coude, c’est-à-dire du point d’appui. Il en résulte qu’un fort petit mouvement de ce tendon fait opérer à la main portée au bout du bras un très grand et très rapide mouvement ; mais il importe ici de remarquer que c’est au moment où ce mouvement se détermine qu’il a le plus d’énergie et de vitesse. À ce moment, l’action du muscle et celle du tendon sont dans la condition la plus favora-