Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/432

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’adhérer de nouveau par le protocole de Vienne. L’entrée des flottes dans la Mer-Noire ne change rien au principe qui règle leur action commune avec l’Angleterre et la France. Aussi apprenons-nous sans surprise qu’un de ces jours derniers a dû être signé à Vienne un nouvel acte par lequel les quatre puissauces proposent à l’empereur Nicolas l’acceptation des bases déjà accueillies à Constantinople, comme le seul moyen de rétablir honorablement et convenablement la paix, et si l’on songe que cet acte est postérieur à l’entrée des flottes dans la Mer-Noire, on en saisira mieux le caractère explicite en ce qui touche la coopération de l’Autriche et de la Prusse. Quant aux autres états de l’Europe, on vient de voir récemment la Suède et le Danemark résister aux séductions de la Russie, qui cherchait à les attirer, et s’entendre pour maintenir leur neutralité en vue de circonstances plus graves. Que reste-t-il donc ? Il reste cette situation tranchée où la Russie seule poursuit sa politique eu dehors des obligations internationales sous la sauvegarde desquelles a été placé l’Orient, tandis que les autres puissances de l’Europe, quelle que soit la mesure de leur intervention, demeurent fidèles à des traités sur lesquels reposent à leurs yeux la sécurité et l’équilibre du continent, La décision de l’empereur Nicolas peut aggraver matériellement le caractère de cette situation ; elle ne peut en changer le caractère moral. Quoi qu’il en soit, le tsar est aujourd’hui en mesure de réfléchir sur la responsabilité qu’il assume. Son intelligence ne saurait méconnaître que, s’il crée des dangers pour le continent, il en crée pour lui-même de plus graves peut-être encore qu’il serait sage d’éviter.

Évidemment c’est aujourd’hui dans l’union de la France et de l’Angleterre que réside la plus efficace garantie des droits de l’Europe, justement parce que ces deux puissances sont celles qui se sont montrées le plus décidées à agir. Aussi est-ce peut-être pour opérer une diversion favorable à sa politique en Europe que la Russie, dans ces derniers temps, a tourné ses regards vers l’Asie. De là cette expédition de Khiva dont on a parlé, cette rupture provoquée entre la Perse et la Turquie, ce redoublement d’action parmi les peuplades de l’Asie centrale, tous ces incidens, en un mot, qui ont toujours le don d’éveiller une émotion singulière en Angleterre, parce qu’ils montrent l’ambition de la Russie tournée vers l’Indus et menaçant déjà les possessions britanniques. S’il en était ainsi, il est bien des esprits qui ne demanderaient pas mieux que de voir la France se désintéresser d’une lutte si lointaine et si étrangère pour elle, et de fait elle n’aurait point certainement à s’en mêler, laissant à l’Angleterre le soin de se défendre, et ayant bien assez de ses propres affaires. Il est des esprits qui vont plus loin et qui s’occupent même aujourd’hui à démontrer l’excellence d’une alliance permanente entre la France et la Russie. C’est le thème d’une brochure, — la Russie et l’Équilibre européen, — dont l’auteur signe un homme d’état, probablement parce qu’il ne l’est guère, les hommes d’état n’ayant pas l’habitude d’afficher leur titre. Prenons les plus modérés, ceux qui croient qu’il n’y a point d’intérêt pour la France dans les événemens dont l’extrême Orient pourrait être le théâtre. L’erreur de ces esprits est de ne point voir la connexité qui existe aujourd’hui entre les tentatives de la Russie en Asie et ses tentatives en Europe. Supposez que la politique russe fût assez forte ou assez habile pour créer en