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sans que l’ordre du couvent en fût le moins du monde troublé. Ses liaisons les plus chères étaient dans son voisinage, et presque à sa porte. Elle avait enlevé à la Place-Royale et attiré dans son quartier la comtesse de Maure, qui ne pouvait se passer de la voir ou de lui écrire à tout moment. Près d’elle étaient les Carmélites, où elle comptait plus d’une amie, la belle Lancry de Bains, ancienne fille d’honneur de la reine Marie de Médicis, devenue la grande et sainte prieure Marie-Madeleine de Jésus ; la sœur Marthe, autrefois la charmante Mlle du Vigean, l’unique passion véritable de Condé, qu’elle avait tant vue au Louvre et à Chantilly ; Mlle d’Épernon, qui avait fui dans la pieuse maison la couronne de Pologne ; surtout l’aimable, spirituelle et judicieuse Mlle de Bellefond, si connue sous le nom de la mère Agnès de Jésus-Maria. Elle n’avait pas grand chemin à faire pour aller rendre ses devoirs à la reine Anne dans ses fréquentes retraites au Val-de-Grâce, ou à Mademoiselle au Luxembourg. L’hôtel de Condé n’était pas bien loin, à la place où sont aujourd’hui le théâtre et la rue de l’Odéon. La duchesse d’Aiguillon habitait au Petit-Luxembourg, et Mme de La Fayette rue de Vaugirard. Pascal demeurait sur la fin de sa vie avec sa sœur, Mme Périer, rue Neuve-Saint-Étienne-du-Mont. L’hôtel de La Rochefoucauld était rue de Seine, l’hôtel de Conti près de là. Mme de Longueville était presque la seule amie qu’elle eût au-delà des ponts, d’abord rue des Poulies et un peu plus tard rue Saint-Thomas-du-Louvre ; mais Mme de Longueville passait sa vie à l’hôtel de Condé, et elle avait un logement aux Carmélites, d’où elle venait sans cesse à Port-Royal. On peut donc dire que Mme de Sablé, bien que retirée à l’extrémité du faubourg Saint-Jacques, conservait autour d’elle toutes ses amitiés, et les avait en quelque sorte sous sa main.

Quelquefois l’esprit du lieu qu’elle habitait la saisissait, et elle s’enfonçait dans une solitude où elle ne laissait pénétrer personne. Elle disparaissait du monde, à ce point que l’abbé de La Victoire, mécontent de n’être pas reçu, dit un jour en parlant d’elle : « Feu Mme la marquise de Sablé[1]. » Il paraît qu’elle en usait ainsi avec La Rochefoucauld lui-même, car il lui écrit : « Je ne sais plus d’inventions pour entrer chez vous, on m’y refuse la porte tous les jours, etc.[2]. » Elle évitait alors jusqu’à Mme de La Fayette, et nous trouvons parmi les papiers de Valant le débris d’une lettre inédite, à demi épargnée par le temps et les amateurs d’autographes, où Mme de La Fayette se plaint, même assez vivement, de n’avoir pas été admise. « Je sens bien, dit-elle, que j’en suis très offensée, et je connois par là que

  1. Tallemant, t. II, p. 329.
  2. Œuvres complètes de La Rochefoucauld, chez Ponthieu, in-8o, 1825 (édition donnée par le marquis Gaëtan de La Rochefoucauld), p. 458.