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juger par la lettre judicieuse et fort bien faite qu’il répondit à Mme de Sablé. Nous-même autrefois nous avons tiré de ce précieux recueil une lettre jusqu’alors inédite de Pascal[1] sur un ouvrage du médecin Menjot. On y rencontre aussi deux billets de Mme de Brégy sur une vie de Socrate et sur une traduction d’Épictète qui paraissaient alors, et il est assez piquant de voir l’éloge de Socrate et celui d’Épictète sortir d’une plume galante et ordinairement assez fade. À côté de ces deux billets sont des lettres bien différentes du marquis de Sourdis sur l’amour. Et il paraît que l’amour était un des sujets ordinaires de conversation, car, outre les lettres de l’ancien ami de Mme Cornuel, il y a des Questions sur l’amour. Le marquis de Sourdis est encore l’auteur d’un Jugement du livre de Charron, et ce jugement est très sévère. Voilà des Pensées sur la guerre, d’une main inconnue, et d’autres Pensées sur l’esprit, par l’abbé de La Chambre. Évidemment tout tourne à la dissertation morale, presque toujours sous sa forme la plus abrégée, celle de pensées, de sentences, de réflexions, de maximes.

Tel est le genre de compositions qui charma et occupa davantage les loisirs de la noble compagnie dont Mme de Sablé était le centre. Et on le conçoit aisément : c’était là comme une suite et un écho de la conversation ordinaire. On y trouvait encore le moyen de parler de soi sans en avoir l’air. On tirait de sa propre expérience, de ce qu’on avait éprouvé soi-même ou découvert chez les autres, quelques observations, que l’on généralisait un peu, sur l’esprit et sur le cœur, sur les vertus et sur les vices, sur nos mœurs, nos goûts, nos faiblesses, particulièrement sur la galanterie qu’on avait connue et sur la religion à laquelle on se réduisait ; puis l’effort, comme le talent, était de resserrer ces observations dans le cadre le plus étroit possible et de leur donner un tour agréable. L’hôtel de Rambouillet a puissamment contribué à la formation de la société polie, répandu le goût de la belle littérature et particulièrement favorisé le genre épistolaire qu’un de ses plus anciens et plus illustres habitués, Balzac, a créé, et qu’une de ses dernières écolières. Mme de Sévigné, a porté à la perfection. Les réunions de Mlle de Scudéry, et celles qui en sont sorties, ont cultivé avec passion la littérature légère et donné à Voiture une innombrable famille d’imitateurs plus ou moins heureux. Mademoiselle a mis à la mode les portraits et les caractères ; Mme de Sablé y mit les maximes, les sentences, les réflexions, les pensées. Par là, le salon de Port-Royal occupe un rang plus élevé encore que celui du Luxembourg dans l’histoire des lettres françaises. Nous pouvons donc nous permettre de raconter avec un peu d’étendue cet

  1. Quatrième série de nos ouvrages. Littérature, t. Ier, p. 463.