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intéressant épisode de la vie de Mme de Sablé et de la littérature du XVIIe siècle.

Le titre d’honneur de la marquise de Sablé, et qui soutiendra son nom auprès de la postérité, est d’avoir donné l’essor au genre des pensées et des maximes. Elle-même s’y essaya. Ce genre en effet sortait naturellement de la disposition de son esprit, de sa situation, de ses habitudes. Nous l’avons dit. Mme de Sablé était née plus raisonnable que passionnée. Tout son génie était le goût et la politesse ; elle aimait à réfléchir ; elle avait soixante ans en 1659 ; elle connaissait parfaitement le monde, et ses observations lui suggéraient des pensées qu’elle se plaisait à communiquer à ses amis comme une sorte de retour innocent sur le passé de leur vie, et comme une matière à des entretiens à la fois sérieux et agréables. Nous inclinons même à croire que les prétendus écrits de Mme de Sablé ne sont autre chose que des maximes et des réflexions un peu plus développées, mais auxquelles ses flatteurs seuls pouvaient donner le nom d’ouvrages.

Les lettres de La Rochefoucauld nous révélaient déjà et nos manuscrits confirment pleinement l’existence de deux écrits de Mme de Sablé, l’un sur l’éducation des enfans, l’autre sur l’amitié. Nous ne pouvons dire certainement ce qu’était le premier, ne l’ayant pu découvrir malgré toutes nos recherches[1], mais nous avons retrouvé le second parmi les papiers de Conrart, et celui-là nous laisse entrevoir par analogie ce que devait être l’autre. Ce n’est pas du tout un

  1. Nous voulons du moins rassembler les moindres renseignemens sur cet écrit. Quand La Rochefoucauld aspirait, ou quand ses amis songeaient pour lui à la charge de gouverneur du dauphin, qui fut donnée à M. de Montausier, il fait ce compliment à la marquise : « C’est ce que vous m’avez envoyé qui me rend capable d’estre gouverneur de M. le dauphin depuis l’avoir lu… Je n’ai en ma vie rien vu de si beau ni de si judicieusement écrit. Si cet ouvrage-là étoit publié, je crois que chacun seroit obligé, en conscience, de le lire, car rien au monde ne seroit si utile ; il est vrai que ce seroit faire le procès à bien des gouverneurs que je connois. » Œuvres de La Rochefoucauld, p. 447. Ailleurs : « L’Éducation des enfans que Mme de Sablé m’a envoyée. » Ibid., 471. Ailleurs encore : « Je vous supplie… de vous souvenir que vous m’avez promis le traité de l’amitié et ce que vous avez ajouté à l’Éducation des enfans. » Ibid., p. 468. Quelques lignes de Mme de Longueville porteraient à croire que l’écrit de Mme de Sablé avait pour titre Instruction pour les Enfans : « Rien n’est plus beau que votre Instruction pour les Enfans ; je l’ai lue aux miens sans leur dire que cela vint de vous. Je ne la montrerai point, à mon grand regret ; mais vous voulez bien qu’on en prenne copie. » Supplément français, 3029. Les deux billets suivans, l’un de la comtesse de Maure, l’autre d’Arnauld d’Andilly, montrent que l’écrit de Mme de Sablé était déjà composé, non-seulement avant l’année 1663, époque de la mort de la comtesse, mais dès l’année 1660. Mme de Maure parle comme La Rochefoucauld : « En vérité, plus je vois cette Instruction des Enfans et plus je trouve que c’est une très belle chose, et ce que vous y avez adjouté est encore admirable. J’ai toujours songé en la lisant que c’est grand dommage que vous n’ayez eu le roi dans vostre gouvernement… » M. d’Andilly à Mme de Sablé, 1er février 1660 : « Je doute qu’on vous ait assez dit jusques à quel point je fus satisfait de ce certain discours. J’en fus d’autant plus touché, qu’il me parut d’abord un paradoxe ; mais vous faites voir si clairement ce que vous avez entrepris de prouver, qu’il faudroit renoncer à la raison pour n’en pas demeurer d’accord. Rien n’est plus judicieux ni plus solide, et si les enfans étoient instruits de cette manière, il est sans doute que par la connoissance qu’ils auroient d’eux-mesmes ils pourroient former en mesme temps et leurs mœurs et leur esprit, et, lorsqu’ils liroient ensuite l’histoire, en faire des jugemens dont les vieillards mesme sont incapables, à cause de la manière dont ils l’ont apprise dans leur jeunesse, qui fait, comme vous le dites si bien, que leur jugement n’y ayant eu nulle part, il ne leur reste seulement que le souvenir des noms qui se sont conservés dans leur mémoire. » Supplément français, 3029, 8.